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Michael Gielen dirige la 6 de Bruckner

Interprétée en première audition et en version « presque complète » par à Vienne le 26 février 1899, la Symphonie n°6 d' occupe une place particulière dans l'ensemble des neuf symphonies, à la fois charnière et parenthèse, entre les grands chefs d'œuvres que sont la cinquième et les trois dernières symphonies. Dans ses proportions et sa durée, elle figure un retour en arrière, se rapprochant ainsi de la Symphonie n°1 avec quatre mouvements de durée presque équilibrée, seul le Scherzo étant plus court. Mais son inspiration sera bien dans la continuité de la cinquième, dont elle reprend certains motifs, en les développant différemment.

L'interprétation qu'en fait se caractérise par une grande précision dans la mise en place orchestrale, un souci de clarté de l'architecture comme de la texture du son, ce dernier favorisant le haut du spectre (violons, trompettes) au détriment des graves (violoncelles, contrebasses, timbales), et par la préoccupation de respecter toutes les indications de la partition tout en observant une certaine retenue dans l'expression. Rappelons que cette œuvre a eu la chance d'échapper aux charcutages coupables, même si bien intentionnés, des « amis » du compositeur qui sévirent sur d'autres symphonies.

Disons-le d'emblée, cette version scrupuleuse claire et précise ne manque pas d'intérêt mais juste un peu d'engagement et de texture sonore, pour emporter totalement l'adhésion. Cela commence sous les meilleurs auspices avec un premier mouvement bien enlevé, au tempo parfait, l'équilibre et la dualité entre la pulsation rythmique martelée par les cordes dès la première mesure, qui traversera tout le mouvement, et les trois thèmes mélodiques, est impeccable. On notera bien ici ou là, par exemple dans la coda, des cordes parfois un peu limites et des timbales bien discrètes, sans que cela nuise à la réussite du mouvement.

L'Adagio commencé dans un tempo plutôt lent sera d'une expression assez neutre, avec un déficit de chaleur et d'ampleur sonore, les cordes graves de Berlin, Vienne ou Amsterdam manquant un peu (notamment sur les fameux pizzicati bruckneriens, ici un peu ternes). Et les timbales seront totalement inexpressives d'un bout à l'autre, retirant, à notre grand regret, le côté inquiétant de l'exposé du premier thème et une partie de la pulsation du mouvement. Curieusement c'est le troisième thème, ailleurs pourtant si beau, si simple et au caractère « apaisant » qui devient ici inquiétant du fait de sa lenteur et de sa froide articulation. La deuxième partie de ce thème fait d'ailleurs penser à Mahler.

Le Scherzo, indiqué « Nicht schnell », l'est vraiment ! Ainsi le début manque d'énergie et d'assise dans le grave ; écouter Jochum-Amsterdam pour comprendre ce que peut donner un scherzo brucknerien lorsqu'il est joué avec allant, énergie, intensité, et variété, par un orchestre grandiose : chaque section acquiert alors son caractère propre. Ici tout est bien en place, mais traîne un peu, et il n'y a pas assez de contraste entre les parties rythmiques et mélodiques, au risque de sonner un poil uniforme, lourd et répétitif. Ce que les détracteurs de Bruckner ne manquent pas de lui reprocher.

Le Final a les qualités et défauts de ce qui précède : comme le premier mouvement dont il est le pendant, un bon tempo, une belle ligne directrice, mais aussi des détails qui pêchent un peu, et un manque d'intensité et d'urgence.

Néanmoins, et comparée à bien d'autre, cette version reste d'un assez bon niveau, et peut servir d'exemple à qui veut analyser « froidement » la partition, grâce à la rigueur et la clarté de l'architecture mise en lumière par . Qui cherchera l'intensité sonore et la tension musicale, le naturel des phrasés et les grandes envolées brucknériennes avec leurs impressionnants climax, devra chercher ailleurs, par exemple Jochum-Amsterdam 1980 (Tahra) exemplaire d'un bout à l'autre.

En bonus figure l'arrangement par Schönberg du Prélude et Fugue BWV 552 de Bach, créé en 1929 à Vienne par Anton Webern et le lendemain à Berlin par Wilhelm Furtwängler. La précision de la baguette de Gielen sied à merveille à cet arrangement grandiose qui fait appel à toutes les ressources du grand orchestre pour littéralement « réinventer » l'œuvre originale de Bach. Les qualités de clarté architecturale relevée dans la symphonie de Bruckner se retrouvent pleinement ici apportant une grande jouissance auditive.

Les deux enregistrements sont servis par une prise de son remarquable et naturelle.

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