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J’étais dans ma maison et j’attendais que la pluie vienne : où est le théâtre ?

Annoncé dans la presse à grands renforts d'interviews, ce J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne de devait faire date dans l'histoire du Grand Théâtre de Genève. Pari tenu ? Rien n'en est moins sur.

Déjà, entre les lignes de ses entretiens, le compositeur laissait filtrer ses doutes sur sa propre œuvre, en affirmant que, pendant les répétitions, il avait «adapté sa partition aux registres des chanteurs» et que la prochaine fois, «il écrirait dans une autre langue que le français». Etait-ce bien le moment d'apporter ces modifications et ces précisions à un travail qu'on imagine prêt à être joué sur une scène ? Il est vrai que son opéra est vide de sens et de substance théâtrale. Cinq femmes – la grand-mère, la mère et les trois sœurs – discourent en monologues entremêlés sur le fils (ou le frère) revenu à la maison pour y mourir. Mettre en scène l'attente et l'absence est un tour de force que le metteur en scène n'arrive pas à gérer. Ce ne sont pas les panneaux percés de portes et de fenêtres coulissants d'un bord à l'autre de la scène comme pour la présentation d'un catalogue d'éléments préfabriqués qui éclairent d'une quelconque manière la compréhension scénique de cette non-intrigue. Ni les déambulations au ralenti des cinq protagonistes. Encore moins, la musique minimaliste faite de taches instrumentales du compositeur . Pas plus que le texte de adapté sans intelligence par le compositeur. Alors, se contente de faire passer ses actrices entre les panneaux, de les asseoir, de les relever pour se rasseoir un peu plus loin, de leur faire monter un inutile escalier, d'ouvrir des portes, de les refermer, somme toute de les occuper à autre chose plutôt qu'à ne rien faire. Tentant d'intéresser son public au non-événement, il n'hésite pas à succomber au remplissage avec la projection sur les murs de la maison, d'un film muet noir-blanc montrant des scènes enfantines et familiales. Si cette vision fatigue les yeux habitués à la pénombre du théâtre, elle a au moins l'avantage d'offrir au spectateur un instant de répit face à l'écriture vocale chaotique de .

En s'attaquant à une matière chantée, Jacques Lenot n'a pas jugé nécessaire de construire un langage vocal. Il se satisfait de la transcription de la pièce empêtrant sa musique dans une langue totalement inadaptée au chant. Comment chanter (et faire entendre distinctement) des associations de mots et de sons comme « un garçon ivre » ou « j'attendais comme » ou encore « nous nous en arrangerons » ? Passant de quelques suites pianistiques à des interventions de quatuors, puis à d'interminables silences orchestraux qui laissent les chanteuses s'époumoner à capella, la complexité de cette partition peut heureusement compter sur l'expérience du chef français Daniel Kawka.

En reconnaissant l'énorme travail de mémorisation des solistes (et du chœur caché derrière les décors) pour que les réparties souvent entremêlées aux autres restent en phase avec les rares interventions de l'orchestre, il reste difficile de juger de leur vocalité sur cette partition. Et pourtant les cinq femmes chantent. Et fort ! À commencer par (la Plus Vieille) qui s'avère sinon la plus à l'aise, du moins certainement la mieux préparée. S'appuyant sur un registre qui semble convenir à son instrument actuel, elle projette son chant avec une étonnante force renouvelée. Avec une diction très intelligible (sur un texte qui ne l'est pas !), elle rejoint dans la clarté de son élocution la soprano Valérie Millot (la Mère). Les autres solistes se démènent plutôt bien dans ce fouillis de mots qui tiennent plus de l'exercice d'élocution que d'un véritable théâtre.

Le public d'une salle loin d'être comble a réservé des applaudissements polis à ce spectacle qui ne restera dans les mémoires. Cette apparente désertion pose alors la question de savoir si la destinée de ce théâtre reste de se projeter aussi fréquemment qu'annuellement dans des créations lyriques qui se révèlent souvent artistiquement discutables ?

Prochaines représentations : les 2, 4, 6 et 9 février 2007

Crédits photographiques : © GTG/Mario del Curto

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