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Le Pauvre matelot de Milhaud et The Medium de Menotti : histoires de revenants

Le Pauvre matelot, opéra en trois actes (et une demi-heure), témoigne de la collaboration étroite de avec , auteur du manifeste du Groupe des six, Le Coq et l'arlequin.

Le poète, toujours attiré par la culture hellène, a beaucoup adapté les grands tragiques grecs classiques, non seulement pour le théâtre (La Machine infernale, Antigone) mais aussi pour le cinéma (Orphée, Le Testament d'Orphée), et ses œuvres plastiques traduisent de manière semblable la forte influence du classicisme antique. Le Pauvre matelot est construit comme une tragédie grecque, mais évoque en même temps le récit journalistique d'un fait-divers contemporain : le propos est concis, le dénouement est horrible, mais c'est le destin qui mène le jeu. Le scénario pourrait se dérouler au lendemain de la guerre dans une auberge sordide tenue par une femme qui ne vit plus que dans ses souvenirs. Elle attend le retour d'un mari disparu au loin depuis quinze ans, avec lequel elle pense pouvoir revivre l'amour de sa vie. Elle a perdu le sens de la réalité et elle est prête à tuer pour arrêter le cours du temps.

Milhaud et Cocteau ont choisi de traiter cette folie comme un fait-divers banal, dont la noirceur est soulignée par la tristesse du décor et des éclairages. La partition apparaît étrangère au texte : les sonorités employées sont clinquantes, et la citation ironique de chansons populaires bien connues renforce le décalage entre l'intrigue mélodramatique et la musique primesautière. Le chant est efficace sans fioritures, mais cependant ample et séduisant. Les quatre interprètes sont fort convaincants par leur talent de comédiens et la qualité de leur chant.

Jean-Marie Abplanalp a choisi de conserver à quelques détails près le même décor pour Le Médium. La scène est rétrécie par un système de claustras, mais ceux-ci nous permettent de deviner ce qui ne se passe pas au premier plan. Celui du fond est imprimé d'un mouvement d'horlogerie qui évoque en même temps le temps passé et la mécanique du destin. Ce décor dépouillé s'harmonise avec la mise en scène et les lumières glauques sont en parfait accord avec l'action dramatique. On ne peut s'empêcher de penser aux films néoréalistes de cette époque d'après-guerre.

C'est à partir d'une expérience vécue que a conçu son scénario. Une voyante sans illusions reçoit avec une véritable mise en scène des clients qui attendent d'elle de retrouver des proches disparus. Mais, l'horreur du monde des années 1940 l'a définitivement traumatisée et elle finit pas se laisser envahir par le dégoût pour son imposture et par la peur des revenants : elle finit par perdre la raison.

La collaboration entre le Duo Dijon, l'Opéra de Fribourg et celui de Besançon est une parfaite réussite. D'une part le chef d'orchestre mène magistralement les musiciens dans un crescendo dramatique qui ne faiblit jamais. D'autre part les deux rôles féminins principaux sont interprétés avec une musicalité exemplaire. , dans le rôle du médium, est époustouflante, autant comme actrice que comme chanteuse. Elizabeth Bailey, qui joue le rôle de sa fille, a une voix pure qui s'accorde parfaitement avec son personnage ; la berceuse qu'elle interprète d'abord seule, puis termine avec sa mère, est un moment de grande émotion. On ne saurait imaginer meilleur hommage au compositeur récemment décédé que cette production.

Il est vraiment dommage que de telles réalisations ne soient pas plus fréquemment proposées sur la scène des théâtres. La qualité des scénarios, leur concision, la force de la musique, l'homogénéité de l'interprétation, la sobre efficacité de la mise en scène de sont dignes d'initier à la scène lyrique des publics néophytes.

Credit photographique : © Alain Wich

La même production à Fribourg chroniquée par Jacques Schmitt :

Le Pauvre Matelot et The Medium : Nuit sanglante à l'opéra

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