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La Traviata et la téloche

Au sortir d'une représentation de La Traviata à La Scala de Milan, un journaliste demandait à « comment elle avait trouvé La Traviata ». La réponse de la mezzo-soprano cingla : « On ne trouve pas La Traviata, on est La Traviata ! ». Elle aurait pu en dire tout autant de la soprano (Violetta Valéry) à l'issue de cette production bernoise.

Manquant de charisme, la soprano n'émeut pas. Jamais elle ne parvient pas à se hisser à la hauteur de la légendaire amoureuse. Restant en marge de la stature du personnage, sa Violetta reste froide et ce ne sont pas les accents pleureurs véristes (malvenus dans la vocalité verdienne) de la chanteuse qui réussiront à lui donner corps. Si son agilité vocale laisse à désirer – son « Follie, follie… » est à la limite du supportable -, la jeune femme souffre d'un instrument vocal pas suffisamment investi pour s'offrir la liberté d'approcher théâtralement des personnages aussi complexes que Violetta Valéry. On l'aura compris, n'est pas en lien avec le drame de l'héroïne de Dumas. Dès lors que La Traviata n'est pas crédible, les personnages l'entourant peinent à exister.

Cette froideur n'est pourtant pas à mettre entièrement sur les épaules de la soprano italienne. En choisissant de montrer Violetta en présentatrice de la télévision, passe à côté du sujet. Si aujourd'hui, le monde de la télévision s'impose en référence populaire, le vedettariat de ses présentateurs n'a rien à voir avec l'essence même de l'opéra de Verdi. La Traviata est une courtisane et non une star des écrans télévisuels. La jeune metteure en scène confond « courtisane » avec « courtisée ». La courtisane demande à ce qu'on l'admire alors qu'on envie la vedette de la télévision. Le tableau est donc totalement faussé et le discours dramatique ne tient plus. Pour autant, quel que soit l'environnement dans lequel on projette l'intrigue, le drame de la femme amoureuse et abandonnée reste le même. En le traitant dans l'univers superficiel de la télévision, dans un décor carton-pâte d'une émission publique, avec ses chauffeurs de salle, les meubles pétants de couleurs, le mauvais goût, etc., la metteure en scène estropie la dramatisation de l'œuvre jusqu'à la caricature. Ses personnages sont fabriqués. Avec cette Traviata de « téloche », elle escamote non seulement la trame de l'intrigue mais encore la musique de . Trop occupée à tenter de raconter l'invraisemblance de son parti pris, elle omet de développer l'aspect psychologique des personnages et leur implication dans le drame.

Ainsi, est un Giorgio Germont quelconque. Peu convaincant, son outrageant discours à La Traviata ne semble pas la troubler outre mesure une Traviata affublée d'un mauvais training rouge et d'une chemisette noire. Si la voix du baryton est belle, l'acteur est insignifiant. Dans cette distribution discutable, seul le ténor sauve la mise en campant un Alfredo Germont probant. Pourtant durant le premier acte, il a frisé la catastrophe avec une voix engorgée (le trac ?). Fort heureusement par la suite, il se révèle comme un ténor qui, s'il ne possède pas encore la totale maîtrise vocale de toute l'étendue de son registre, laisse entendre des aigus d'une rare brillance. Son « Lunge da lei non v'ha diletto » est admirable.

Le dernier acte étale le déjà-vu d'une Traviata se mourant dans un lit d'hôpital accompagnée des accents du chœur de carnaval retransmis à la télévision (un copier-coller de la mise en scène que Moshe Leiser et Patrice Caurier avaient présenté à l'Opéra de Lausanne en 2003). Cette scène laisse pourtant apprécier une (Violetta Valéry) plus engagée qu'elle ne l'était au début de la représentation. Elle meurt mieux qu'elle ne vit ! Cependant, ce spectacle n'arrive pas à se potentialiser. Alors rien ne colle plus. À l'instar de la morne et routinière direction d'orchestre de tirant un Berner Symphonie-Orchester peu précis et manquant singulièrement de lyrisme.

Crédits photographiques : © Phillip Zinniker

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