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Riccardo Primo à Genève : concert ou répétition payante ?

L'Allemagne a érigé un temple à Richard Wagner pour y jouer la poignée d'opéras qu'il a écrit.

La trentaine d'oratorios et la quarantaine d'opéras composés par Haendel justifieraient largement la construction d'un théâtre lyrique où l'on ne donnerait que ses œuvres. On pourrait ainsi y entendre ses ouvrages qui ne sont que rarement chantés et encore plus rarement joués. Ce serait certainement le cas de ce Riccardo Primo, Rè d'Inghilterra que le Grand Théâtre de Genève a présenté en version de concert.

Concert ou répétition payante ? Non pas que la qualité de cette prestation du Grand Théâtre de Genève soit véritablement à mettre en cause mais certains indices donnent à penser qu'on assistait plus à une répétition (même générale) qu'à un véritable concert. D'abord d'un point de vue économique. Comment s'offrir six solistes et plus d'une trentaine d'instrumentistes pour un seul concert ? D'un point de vue scénique. Si les musiciens d'orchestre étaient correctement vêtus, pourquoi les solistes (en dehors des deux rôles féminins et du rôle-titre) étaient visiblement en habits de ville ? Du point de vue de la prestation musicale. Pourquoi les solistes tiennent-ils la partition entre leurs mains ? Ne savent-ils pas leurs rôles par cœur ? A-t-on jamais vu un acteur de prose se présenter au public avec son texte en main ? Le défunt Festival Voix et Musique de Montreux de Vevey s'était fait le spécialiste de ce genre de concerts-répétition d'orchestre et d'opéras. Malheureusement, cette pratique tend à envahir nos théâtres lyriques. En prévision de l'enregistrement d'un disque ou en avant-première d'une représentation scénique, les protagonistes font une tournée de concerts se faisant ainsi rémunérés pendant leur travail de mise en place final. Bien entendu, avec ces prestations au rabais, les théâtres se gardent bien d'avertir le public qu'il s'agit d'une répétition d'orchestre car sinon, comment légitimer le prix des places ?

Reste néanmoins que ce Riccardo Primo est une très belle œuvre et que les pages qui la composent sont d'une grande valeur musicale. A commencer par l'ouverture qui, malgré quelques périlleux pataugeages des bois, s'entend comme une page aux instrumentations luxuriantes. Le livret de l'opéra est truffé d'invraisemblances (comme les deux fiancés qui sont promis l'un à l'autre sans jamais s'être vus !) mais puisque l'important semble être qu'il faille chanter pendant près de trois heures pour enfin affirmer que l'Amour, le vrai, triomphe de tout, mieux vaut en oublier l'intrigue !

En se bornant à l'écoute des différents solistes en présence, force est de constater que le niveau vocal de cette distribution est excellent. A commencer par le rôle-titre tenu par le contre-ténor (Riccardo Primo). S'imposant en vedette du plateau, son attitude de suffisance scénique force néanmoins l'antipathie. N'entrant en scène qu'à l'instant où il doit chanter son air (alors que ses camarades sont assis en rang d'oignon depuis l'ouverture), vêtu d'une très belle redingote trois quart, il se pose immédiatement en star absolue. Est-ce pour remettre en mémoire l'importance que se donnait le fameux castrat Senesino à l'époque de la création de l'opéra ? Hormis ce comportement très dérangeant, le bonhomme chante bien. Il a l'habileté de la conduite de sa voix, les trucs du métier et l'immense professionnalisme des artistes américains. Même s'il joue à être habité, il est tout de même un peu ennuyeux. A ses côtés, tout aussi blanche et fade, la soprano (Costanza) se lamente sur une partition en tons mineurs. Sa voix sans grandes couleurs a tôt fait d'apaiser l'auditeur sur l'absurde attitude de M. Zazzo et de le plonger dans une douce et agréable somnolence. Son cousin et tuteur dans l'intrigue, la basse Curtis Streetman (Berardo) ne s'y trompe pas et manque lui aussi de s'endormir sur son siège. N'ayant pu chauffer sa voix en coulisse, il se perd rapidement dans quelques problèmes de placement de voix alors que ses premières notes le créditaient d'une belle technique, d'une agilité rare et d'une projection vocale bien centrée. L'inévitable vilain de l'opéra, le baryton David Wilson-Johnson (Isacio) tranche résolument dans le style vocal des autres solistes en présence sur le plateau. Plutôt spécialisé dans l'opéra du XIXe et du XXe siècle, il semble ne pas être en phase avec l'esprit baroque de ses collègues. Reste que la voix sonne bien. Projetée avec la puissance et le cuivre d'une trompette, elle ne porte pas toujours la finesse du texte musical. Autre contre-ténor, (Oronte) n'a que deux airs à chanter de tout l'opéra. Seul à connaître son par-cœur, ne s'appuyant jamais sur la « béquille » de la partition, il a toute aptitude pour soigner l'interprétation en dehors de la difficulté de ses airs virtuoses. Le public ne s'y trompe pas. Très convaincant, il s'est vu être le seul à être applaudi à la fin de ses airs. La soprano Geraldine McGreevy (Pulcheria) atteste d'une vivacité vocale captivante. Jouissant d'airs plus spectaculaire que sa consœur, elle se love dans ces cantilènes avec gaieté et une belle aisance vocale. Quoique se déchargeant des airs farcis de vocalises avec une certaine aisance, on ne peut s'empêcher d'imaginer comment Cecilia Bartoli les aurait abordées. Mais à défaut de grives….

A couronner ce très propret concert, le sous la direction saccadée de ne pouvait faire délirer personne. Néanmoins, le public a réservé un accueil chaleureux à l'ensemble des artistes sur le plateau applaudissant avec plus ou moins d'enthousiasme tel ou tel autre soliste marquant avec une certaine évidence ses préférences plus scéniques que musicales.

Crédits photographiques : © DR

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