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Week-end Brahms & Fauré au Musée d’Orsay

Programmer une intégrale de l'œuvre pour piano seul de Brahms et Fauré en deux jours – après l'intégrale des œuvres de musique de chambre avec piano du mois précédent – est un formidable défi lancé par les organisateurs de l'Auditorium du Musée d'Orsay et tout particulièrement . Lors de ces deux journées des 10 et 11 mars se sont relayés sept pianistes assurant au total douze concerts, douze « modules » d'une heure chacun, qui firent pratiquement salle pleine dès onze heures du matin ! Jouées en alternance, les œuvres des deux compositeurs s'enchaînaient selon une progression chronologique permettant à l'auditeur passionné – et ils sont nombreux semble-t-il – d'apprécier les qualités respectives de chaque interprète et de pénétrer plus avant les tenants et aboutissants d'un style, de l'œuvre de jeunesse aux ultimes manifestations du génie révélant la quintessence d'un art qui confine à l'épure, chez Fauré comme chez Brahms.

Certains interprètes avaient choisi leur « camp » ; pour , celui de Brahms qu'il a déjà beaucoup joué et enregistré. Préférant les concerts du matin, il débutait ce week-end avec les deux premières sonates de 1852 et 1853 – révélant Brahms à Clara et – et jouait le lendemain les deux séries de variations op. 21/1 et op. 24 de 1857 et 1861 : Variations en ré majeur sur un thème original et Variations et fugue en sib majeur sur un thème de Haendel : deux œuvres éminemment brahmsiennes par la vigueur du propos qui se déploie avec une rigueur et une puissance imaginatives qui culmineront dans le final de la Symphonie n°4. Des qualités qui s'affirment également dans le jeu très inspiré de , pianiste et concepteur, mettant sa technique transcendantale au service d'une pensée structurante qui donne du sens à l'écriture et nous conduit sans faillir, au terme des douze variations, vers l'apothéose de la fugue finale. L'interprète trouve ici le souffle et l'épaisseur du son brahmsien qu'il semble puiser au tréfonds de son être pour en faire jaillir la dimension charnelle et émotive.

C'est à Fauré que se vouait , premier français à remporter en 1983 le Prix Reine Elisabeth de Belgique. Il amorçait cette intégrale avec les premières œuvres du catalogue avant d'aborder, le deuxième jour, la série des Barcarolles, Nocturnes et Impromptus composées entre 1895 et 1909.

Curieuse personnalité au jeu austère qui surprend dans des œuvres puisant encore aux modèles des romantiques – une rumeur d'ennui court dans la salle durant les premières Romances sans paroles va peu à peu gagner de l'aisance et nous faire apprécier un toucher délicat et une sonorité brillante dans la Ballade op. 19.

Grippé mais présent à l'appel – cette intégrale n'autorisait aucune défaillance – se lance « à corps perdu » – mais avec sa partition – dans le Scherzo en mi bémol mineur puis la Sonate n°3 de Brahms, une œuvre d'envergure en cinq mouvements écrite à vingt ans dont le pianiste donne une vision flamboyante. Avec un jeu totalement investi et à haut risque – pas toujours assumé – l'interprète confère à l'écriture brahmsienne sa dimension orchestrale et visionnaire, sa puissance énergétique née d'un geste ample et magistral.

Pour Fauré qu'il jouait immédiatement après – dix pièces relativement courtes alternant Impromptus, Nocturnes et Valses caprices, esthète exigeant, modifie légèrement l'ordre chronologique suivi dans le programme pour grouper les œuvres, comme il l'explique au micro, selon leurs affinités sonores. Il nous convie alors à un voyage, une promenade en bateau baignée de lumière avec les Barcarolles ou pénétrant le clair-obscur fauréen dans les Nocturnes. On regrette, à l'écoute de ces œuvres certes fougueuses et passionnées, l'aspect un peu heurté des sonorités – doit-on en imputer la faute au Yamaha de concert ? – et la véhémence d'un jeu qui semblait avoir gardé un rien de son ardeur brahmsienne. Les Nocturnes n°4 et 5 sont cependant un moment de grâce absolue où l'art de Fauré s'épanouit sous les doigts de l'interprète en une poésie subtile et indicible.

et poursuivaient cette confrontation passionnante – mais à un jour d'intervalle – avec les œuvres de maturité des deux compositeurs, tandis que et , au cœur de la deuxième journée de ce marathon des pianistes, se concentraient sur les œuvres de Brahms composées entre 1862 et 1865 puis 1871 et 1892.

L'affluence du public qui, malgré les sollicitations printanières, avait préféré l'atmosphère chaleureuse mais confinée de l'auditorium du Musée d'Orsay atteste le succès retentissant d'une expérience aussi audacieuse qui, lorsqu'elle revêt une telle qualité, rencontre l'adhésion de tous les mélomanes et musiciens avertis.

Crédit photographique : © Patrick Villanova

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