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Lausanne condamné à l’excellence

Il y a quelques mois votre serviteur paraît de tous les superlatifs Le Nozze di Figaro de Mozart présentées à l'opéra de Berne.

S'emballant en arguant que cette production était « l'une des meilleures qu'il lui a été donné de voir et d'entendre depuis une bonne vingtaine d'années », il ne pensait pas que son dithyrambe ne tiendrait que quelques semaines puisqu'il faut (déjà) louer le formidable spectacle que l'Opéra de Lausanne co-produit avec le Théâtre du Capitole de Toulouse.

Décors magnifiques, costumes somptueux, chanteurs impeccables, direction d'acteurs forte, tout concourt à une production qui, comme nulle autre jusqu'ici (attention, voilà qu'il se relance dans les superlatifs !) n'a aussi subtilement fait goûter au génie combiné de Lorenzo da Ponte et de Mozart.

Le Comte Almaviva vit dans l'univers coloré du XVIIIe siècle. Murs et plafonds de sa somptueuse demeure sont peints des ors et des rouges de la Chute des Titans, fresque de Francisco Bayeu, beau-frère de Goya. Ce symbole de l'effondrement de la société des nantis sévillans n'empêche pas l'égalité de chacun face aux jeux du hasard et de l'amour. Dans sa mise en scène, prend méticuleusement soin de ses personnages. Chacun se retrouve dans l'émergence de sa place dans la société. Jusque dans l'habillement, Marelli soigne le détail. Le pratique des vêtements larges et confortables de Susanna et de Figaro contraste avec la sophistication engoncée des atours du Comte et de la Comtesse. Ainsi, point n'est plus besoin d'exprimer l'aspect politique de cet opéra. Tout est dans l'apparence.

Le Comte est tout puissant jusqu'à la caricature. L'ébouriffement subtil de sa coiffure laissant pointer deux légères et diaboliques petites cornes souligne son arrogance. Dans un rôle admirablement conduit, le baryton (il Conte Almaviva) est le maître du plateau. Artiste généreux, il va jusqu'à acidifier sa voix pour accentuer le caractère dédaigneux de son personnage. Ce ne sera qu'aux derniers instants de l'opéra, lorsque découvert, qu'il se repentira auprès de son épouse dans un « Perdono » d'une douceur vocale retrouvée, tel Almaviva du Barbiere di Siviglia faisant sa cour effrénée à Rosine. Chapeau !

Si la soprano Karen Vourc'h (La Comtesse) a la noblesse théâtrale de son étiquette, elle n'est pas très à l'aise avec la partition mozartienne, laissant échapper quelques imprécisions lors des notes de passage. Toutefois bonne comédienne, elle habite son personnage avec finesse, mêlant amusement et émotion aux avances d'une Carine Séchehaye (Cherubino) plaisante à plus d'un égard. Rare mezzo-soprano à chanter le jeune garçon Cherubino sans vibrato, cette abnégation de son instrument est tout à son honneur alors qu'il lui aurait été si facile de briller vocalement. La charmante (Susanna) campe une servante d'une fraîcheur extrême. Constamment en mouvement, elle s'empare de la scène avec aisance et intelligence. En parfaite musicienne, elle harmonise ses gestes aux rythmes de la musique de Mozart qu'elle chante sans difficulté apparente, assimilant parfaitement l'esprit de la lettre et de la note du Maître de Salzbourg.

À ses côtés, (Figaro) se pose en parfait Figaro. Jamais dans la précipitation, soignant le phrasé et la diction, impeccable d'intelligibilité, il conduit le stratagème contre les débordements de son maître le Comte avec une présence scénique de tout premier plan. Doté d'un instrument capable de toutes les couleurs, du haut de ses trente-deux ans, le jeune Italien compte déjà parmi les barytons les plus remarquables de sa jeune génération.

Mais le succès de cette production ne serait pas complet sans le niveau artistique exceptionnel que le metteur en scène tire des « petits » rôles de cette « folle journée ». Ainsi la basse David-Alexandre Borloz (Antonio) personnifie un jardinier désopilant de niaiserie. Déjà remarqué dans d'autres productions lyriques de nos régions, il semble être sans limites ni vocales, ni théâtrales tant ses personnages respirent le vrai. A ses côtés, Elizabeth Bailey (Barbarina) délivre un charme vocal et une énergie scénique remarquables, tout comme (Marcellina) dont l'air (souvent coupé) « Il capro e la capretta » a été copieusement applaudi. Avec sa voix ample et timbrée, Philippe Kahn (Bartolo), drôle sans excès, campe un personnage théâtral de valeur alors que tant de productions lui offrent la caricature d'un vieillard grotesque.

Si Chœur de l'Opéra de Lausanne n'a pas encore totalement retrouvé la précision et les couleurs que avait réussi à lui donner voici quelques années, les progrès sont sensibles. Patience ! Scandant admirablement la musique de Mozart, la rythmant aux mouvements du théâtre de la scène, le travail de dentelle du chef porte un au meilleur de lui-même.

En résumé, si monter Le Nozze di Figaro de Mozart n'apparaît jamais comme une prise de risque, voir une innovation sensationnelle, le piège de montrer un spectacle passe-partout est fréquent. L'Opéra de Lausanne a magnifiquement évité l'écueil de cette facilité. Mais il se trouve dès lors condamné à l'excellence. Et c'est tant mieux pour le public !

Crédit photographique : © Marc Vanappelghem

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