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Krzysztof Penderecki : Pandémonium en diable, version originale

20 juin 1969, le public de l'Opéra de Hambourg sort gêné de ce qu'il vient de découvrir, ignorant certainement qu'une page de l'histoire de la musique vient alors de se tourner.

Une jeune équipe de trentenaires (, , , , ) aux carrières déjà bien commencées venaient, sous la férule du directeur visionnaire des lieux , de créer Die Teufels von Loudun, opéra inspiré d'un roman d'Aldous Huxley, lui-même puisant ses sources d'un fait divers survenu en France en 1634, sombre machination politique de Richelieu pour faire tomber un bastion de protestants protégés par le charismatique curé catholique de la ville.

Nous sommes en 1634. Richelieu, éminence grise de Louis XIII, fait tout pour réduire le pouvoir des Huguenots, dont la liberté de culte a été proclamée par l'Edit de Nantes en 1598. Une des solutions est de détruire les murailles qui entourent Loudun, petite ville poitevine et grand centre protestant. Le curé de la ville, Urbain Grandier, s'oppose à cette décision en publiant un pamphlet violent. Tout est fait pour réduire au silence cet importun, aimé de ses ouailles malgré ses frasques sexuelles derrière le confessionnal – il est par ailleurs l'auteur d'un traité remettant en cause le célibat des prêtres. Mais son manque de chasteté n'est pas un chef d'accusation suffisant : une chasse aux sorcières est organisée en manipulant les sœurs ursulines du couvent voisin, dont la mère supérieure, Jeanne des Anges, voue un délire érotomane à Grandier – qu'elle n'a jamais vu au demeurant. Les moniales se disent habitées par le diable sous les traits du prêtre. Malgré l'appui du roi, Richelieu est le plus fort, et Grandier condamné au bûcher, bien que la supercherie ait été mise à jour par le Prince Henri de Condé.

Penderecki – auteur aussi du livret – utilise tous les moyens possibles pour illustrer cette sombre histoire : le chant parlé succède au chant lyrique le plus passionné, clusters et écriture aléatoire alternent avec des passages d'une grande intensité mélodique, la sensualité des duos d'amour (Urbain et Ninon, Urbain et Philippe – oui c'est un rôle féminin) et des délires érotiques de Jeanne s'opposent à la violence des scènes d'interrogatoire, d'exorcisme ou de pandémonium. La caméra instable de traduit au mieux ces instants passionnés, passionnels ou dérangeants, aidé en cela du découpage quasi cinématographique de l'action. livre une vision hallucinée de Mère Jeanne, les yeux exorbités, l'air hagard, devenant petite fille au moment de l'interrogatoire au stylet (une tige de métal enfoncée dans la chair à l'endroit où le diable a élu domicile). Andrzej Hiolkski est quasiment parfait en Urbain Grandier christique, sacrifié sur l'autel du pouvoir. Le reste de la distribution est idéale, tant vocalement que physiquement, sous la direction ferme et attentive de .

Saluons les efforts d'Arthaus Musik qui nous livre les formidables archives de l'Opéra de Hambourg. Songeons au courage des décideurs de l'époque (1969) qui n'hésitèrent pas à filmer pour la télévision un opéra contemporain. La version CD (Philips) due aux mêmes interprètes n'étant plus commercialisée, ce DVD, malgré ses faiblesses (enregistrement en mono, qualité inégale de l'image), s'impose comme une référence majeure.

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