- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Iphigénie en Tauride à San Francisco, grave et déchirant

Au risque de choquer les bonnes consciences, de faire grincer quelques dents, il faut bien reconnaître que cette Iphigénie en Tauride fait mouche.

Et ceci, malgré l'absence totale de décors, l'absence de costumes, de machines, malgré ce modernisme outrancier, foncièrement eurotrash. Ces trois murs noirs couverts de sang (noir), de graffiti évoquant Agamemnon ou Clytemnestre, délimitent tout simplement l'espace scénique, lieu mythique – bien sûr – de tous les dangers, sans plus. Les costumes (robes noires pour les femmes, pantalons et chemises noirs pour les hommes) limitent, eux, un temps figé, un temps de tous les temps. Notre Deus ex machina bouclera le tout de la fosse d'orchestre. Tout ceci autorise à privilégier les sentiments, leurs perpétuelles mutations, le psychologisme clinique du drame où les rêves et leurs interprétations dament constamment le pion à la réalité. (Criqui flirte alors ici avec un psychanalysme hors-propos). Production sobre donc, dépouillée… où seuls les trop nombreux danseurs et leur chorégraphie brouillonne et laborieuse, encombrent inutilement l'espace, font franchement désordre, opacifient l'action, n'ajoutent rien.

, , , tous les trois violemment impliqués, passionnés, incisifs, explicitent ce soir pour nous les blessures irréversibles, les dérives obsessionnelles de nos mémorables Atrides et crèvent l'écran… tous les trois. , constamment en émoi, constamment en attente, souvent intimiste, souvent violente, sincère et spontanée, d'un aplomb, d'une humanité étonnants, accroche dès l'entrée… et jusqu'au final. La voix pleine, chaude, souple, bien timbrée, au legato maîtrisé, sonne, lorsqu'il le faut, héroïque et fougueuse, ou, lorsqu'il le faut, amoureuse, habitée. Certains moments («O toi qui prolongeas nos jours», «O malheureuse Iphigénie») seront alors de véritables pièces d'anthologie. , à l'aigu lyrique et charmeur, redoutablement juste et efficace (décapant) dans l'époustouflant «Divinité des grandes âmes» débusque, tout comme Oreste d'ailleurs, les fraîcheurs, les émois, les désarrois de l'amitié et, avec une aisance confondante, signe ce soir sa meilleure prestation locale. possède, lui, un timbre suffisamment expressif, suffisamment mordant, urgent, pour décrypter à point les élans et les ardeurs de son amitié, violente et absolue. Son jeu naturel, fougueux, attachant, cajole, puis conquiert.

Un très bon point pour Mark Doss (Thoas), à la voix solide et porteuse, un autre pour Heidi Melton (Diane), à la voix feutrée, émouvante, éloquente. Les chœurs, l'orchestre, orageux, tempétueux, dirigés par un trop souvent en porte-à-faux, font avancer les choses à grands pas. En conclusion : du très bel ouvrage, grave et déchirant, admirablement servi par trois artistes exceptionnels.

Crédit photographique : Bo Skhovus (Oreste) & (Iphigénie) © Terrence McCarthy

(Visited 576 times, 1 visits today)