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Arturo Toscanini crépusculaire et en stéréo

Toscanini en stéréophonie ? Est-ce un canular ? Et pourquoi pas Caruso en Super Audio CD multi-canaux ?… Eh bien non ! C'est loin d'être une plaisanterie. Le label américain Music & Arts a pu se procurer les précieuses bandes originales en stéréophonie expérimentale des deux derniers concerts de l'illustre chef italien à la tête de son cher Orchestre Symphonique de la NBC. L'ultime concert, exclusivement consacré à , eut lieu le 4 avril 1954 au Carnegie Hall (Music & Arts CD-3008 stéréo) et est tristement réputé pour le trou de mémoire que le chef de 87 ans subit dans Tannhäuser, probablement en raison de sa grande angoisse à la pensée de l'imminente retraite.

Deux semaines plus tôt, le 21 mars 1954, toujours au Carnegie Hall, il donna un concert Rossini – Tchaïkovski dont voici le témoignage, également en stéréo, présenté avec ambiance de salle et annonceur (Ben Grauer). À l'audition de ce concert, il faut croire que l'angoisse y était déjà présente, car dans l'Allegro non troppo du premier mouvement de la Symphonie Pathétique, quatre mesures après la lettre B, les cors, suivis en chœur des hautbois et clarinettes, attaquent un temps trop tôt, et tout l'orchestre cafouille durant huit mesures après lesquelles tous les musiciens sont miraculeusement à nouveau ensemble ! L'admirable ingénieur du son qui a restauré ces documents, Aaron Z. Snyder, a réussi à minimiser l'incident en réintroduisant le temps manquant.

Mais qu'en est-il de l'impression globale ? L'ouverture du Barbier de Séville, prise dans un tempo assez modéré, convainc par sa grâce et le refus de toute vulgarité bruyante trop souvent entendue : l'œuvre est redécouverte, toute de fraîcheur, de nuances, de légèreté et de subtilité, et la mise en opposition gauche-droite des deux groupes de violons que seule la stéréophonie peut dévoiler n'y est certainement pas pour rien. L'expérience de toute une vie du vieux maestro y est flagrante : personne, sauf peut-être Giulini, n'a dirigé Rossini avec autant de perfection.

Toscanini n'a pas négligé Tchaïkovski, dont nous possédons des témoignages discographiques de non seulement la Symphonie Pathétique, mais aussi du Concerto n°1 pour piano op. 23 (avec Horowitz, son beau-fils), de la Symphonie « Manfred » op. 58, de la Suite Casse-Noisette op. 71a, de Roméo et Juliette et des plus rares Tempête et Voïvode.

En 1897, à peine quatre années après sa composition, Toscanini conduisit la Symphonie Pathétique au Teatro Regio de Turin, et c'est seulement après plus de quarante ans, après avoir pris connaissance de la vie tourmentée de Tchaïkovski, qu'il fut convaincu de l'» honnêteté » de cette musique et qu'il y revint : à partir de 1938 se succédèrent cinq enregistrements sous sa baguette, dont cette version du 21 mars 1954, la dernière. Il ne faut pas s'attendre ici à une interprétation chauffée à blanc comme celle d'Evgueni Mravinski avec qui partageait pourtant la même « poigne de fer » : il s'agit d'une interprétation à la fois très sobre et chaleureuse dont est totalement exclue toute vulgarité, version toute de transparence renforcée par la disposition gauche-droite des premiers et seconds violons, particulièrement édifiante dans cette œuvre où ils se répondent constamment les uns les autres.

Insistons encore sur la qualité exceptionnelle des transferts accomplis par Aaron Z. Snyder, magicien du son qui nous fait véritablement oublier l'intermédiaire de l'enregistrement pour n'avoir qu'à se délecter de ces interprétations légendaires datant de plus de cinquante ans ! Associé à son complémentaire CD-3008 entièrement consacré à Wagner, ce disque n'est pas seulement un simple éloge d'une qualité sonore digne de nos standards actuels, apportant un éclairage nouveau sur les interprétations de l'immense chef : c'est aussi – et surtout – un témoignage incomparable d'un artiste dont la sagesse acquise au soir de sa vie magnifie les œuvres qu'il fait revivre.

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