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Le label américain First Edition renaît enfin de ses cendres

Dès les années 50 et l'apparition du microsillon, deux labels américains, plus que tout autre, ont surtout défendu les compositeurs de leur pays grâce à des musiciens d'exception : Mercury fit confiance à (1896-1981), remarquable compositeur, chef d'orchestre et pédagogue d'origine suédoise, réputé avoir dirigé plus de 2000 œuvres de plus de 400 compositeurs américains pendant le directorat de sa chère Eastman School of Music, Rochester, de laquelle étaient issus plusieurs d'entre eux. L'essentiel des enregistrements Mercury de furent accomplis avec sa phalange, l'Orchestre Eastman-Rochester, et nombre de ceux réalisés en stéréophonie ont été réédités en CD.

L'autre label qui nous concerne ici est moins connu, car limité à l'origine aux souscriptions d'éventuels discophiles intéressés, et est exclusivement consacré à l'Orchestre de Louisville : First Edition est son nom, à juste titre. Car c'est grâce à cette étiquette des Louisville Records que les compositeurs honorés depuis plus de cinquante ans par ce superbe orchestre ont connu les premières discographiques de certaines de leurs œuvres. Ces heureux musiciens ne sont d'ailleurs pas nécessairement américains, comme nous le constaterons dans les deux premiers CDs chroniqués.

L'Orchestre de Louisville, fondé en 1937 par Charles P. Farnsley, maire de Louisville, et (1904-1986), son chef permanent de 1937 à 1967, traversait une crise financière que les fondateurs résolurent génialement en lui attribuant en exclusivité un label discographique : l'Orchestre de Louisville fut ainsi, en 1954, le premier orchestre américain à posséder son propre label, après avoir enregistré auparavant pour Mercury et Columbia (CBS). Par la politique de commissionner de nouvelles œuvres et les enregistrer systématiquement, la renommée de l'orchestre fut internationalement assurée. Parmi les compositeurs sollicités figurent dès 1952 , , Roy Harris, Paul Hindemith, Arthur Honegger, , , , Virgil Thomson, Heitor Villa-Lobos. En 1967, l'année de la retraite de , l'Orchestre de Louisville avait enregistré et publié 125 microsillons, introduisant également en première mondiale les œuvres de Elliott Carter, Henry Cowell, Luigi Dallapiccola, Lukas Foss, Alberto Ginastera, Lou Harrison, , Ernst Krenek, Peter Mennin, Wallingford Riegger, Roger Sessions, Harold Shapero et Alexandre Tcherepnine. Parmi les directeurs musicaux qui ont succédé à en 1967, citons Jorge Mester (1967-1979), Akira Endo (1980-1982), Lawrence Leighton-Smith (1983-1994), Max Bragado-Darman (1994-1998) et Uri Segal (1998-2004).

FRANÇAIS MODERNE, vol. 1 : HONEGGER / IBERT

« Volume 1 » laisse espérer qu'il y en aura d'autres, et s'ils sont comme celui-ci, ils compteront parmi les plus beaux disques de musique française. C'est un geste fraternel magnifique d'avoir réuni sur ce CD Arthur Honegger et , amis de toute une vie, dont la collaboration nous a légué l'opéra L'Aiglon et l'opérette Les Petites Cardinal. Il est assez amusant de constater que le style d'Arthur Honegger est bien éloigné de celui de ses confrères du Groupe des Six, alors que celui de Jacques Ibert qui n'en faisait pas partie, en est bien plus proche.

Hommage à la fois à Maeterlinck et Debussy, le Prélude pour Aglavaine et Sélysette (1917) est la toute première œuvre purement orchestrale du grand maître suisse, encore élève au Conservatoire de Paris, et il s'agit ici à notre connaissance du seul enregistrement commercial existant de cette brève page au caractère résolument debussyste. La Suite Archaïque (1951), partition commissionnée par l'Orchestre de Louisville, en est par contre la pénultième, et elle est dirigée ici idéalement par son dédicataire Robert Whitney, comme d'ailleurs le gershwinien Louisville-Concert (1953) – que l'éditeur s'acharne à appeler Concerto – de Jacques Ibert dont toutes les pages que l'on retrouve ici ont été réenregistrées par après, notamment par Louis Frémaux (EMI), Adriano (Marco Polo) et (Decca), mais les interprétations de la première heure de l'Orchestre de Louisville, exceptionnelles par leur enthousiasme et leur esprit de découverte, les surclassent toutes aisément.

La guerre fut sans merci envers  : les membres de sa famille ont été décimés et toutes ses compositions antérieures à 1944 brûlées lors du soulèvement de Varsovie, bien que le compositeur ait pu reconstituer par après quelques unes d'entre elles. Après la guerre et avoir contribué à remettre sur pied les principaux orchestres de Pologne, il s'expatrie définitivement, en 1954, en Angleterre où s'épanouit sa carrière de chef d'orchestre et surtout de compositeur, léguant notamment au monde musical dix Symphonies dont cette Symphonie n° 2 « Elegiaca » (1957), l'une de ses œuvres créées par . L'enregistrement qui nous en est offert ici est apparemment le seul existant d'une partition dédiée « aux victimes de la Seconde Guerre Mondiale » et dont le tragique est indéniable.

Le Nocturne (1947, révisée en 1955), également marqué par la guerre, est une sorte de procession mystérieuse et lancinante aboutissant en son centre à un climax et s'achevant sur un palindrome. Quant à la Rhapsodie (1956), de forme tripartite, elle est la première œuvre composée par Panufnik après son immigration en Angleterre. Marqué par la nostalgie de son auteur pour le pays natal, ce mini-concerto pour orchestre exploite des formes mélodiques et rythmiques associées au folklore polonais. Ces trois œuvres reçoivent leur première discographique mondiale en d'admirables exécutions de Robert Whitney et sa superbe phalange.

PETER MENNIN

Personnalité attachante, le compositeur américain Peter Mennin est à peine connu en Europe. Professeur de composition à la Juilliard School avant d'en assumer la présidence jusqu'à sa mort, il fut auparavant élève de à l'Eastman School of Music, et nous a laissé une trentaine de compositions d'envergure dont neuf Symphonies et des Concertos pour violoncelle, piano et flûte.

Ce CD nous offre les premières discographiques des Symphonies n° 5 (1950) et n° 6 (1953, commissionnée par l'Orchestre de Louisville), ainsi que du Concerto pour violoncelle (1956), avec ce musicien racé qu'est Janos Starker. Musique d'une remarquable fermeté rythmique dans les sections rapides, et d'un lyrisme à fleur de peau dans les parties lentes, elle témoigne de la personnalité originale de son auteur par un langage tonal basé sur un contrepoint souvent dissonant, un peu à la manière d'un Arthur Honegger. Signalons qu'il existe une autre version aussi superbe de la Symphonie n° 5, enregistrée chez Mercury en mai 1962 par Howard Hanson – le professeur de Mennin – à la tête de son Orchestre Eastman-Rochester.

ROY HARRIS

S'il y a bien un musicien, avec , qui évoque à merveille les vastes espaces américains et leurs particularités – Americana – c'est à coup sûr Roy Harris, l'un des plus prolifiques symphonistes américains, avec pas moins de seize symphonies, dont trois inachevées ! Ainsi que quelques compositeurs américains de sa génération, il fut l'élève de Nadia Boulanger à Paris, et sa musique est un bel exemple de contrepoint clair et lumineux, modulant constamment, et d'un principe compositionnel basé sur un matériau monothématique primaire engendrant graduellement de nouvelles phrases successives, telle une croissance organique.

La Symphonie n° 3 a particulièrement bien réussi au disque, emportant l'adhésion de Neeme Järvi, , Leonard Bernstein, Howard Hanson et surtout son créateur qui affirmait de manière éloquente : « Je pense que personne n'a capturé en musique l'essence de la vie américaine – sa vitalité, sa grandeur, sa force – aussi bien que Roy Harris. »

À l'audition des trois œuvres proposées sur ce CD – et même si la Symphonie n° 5 n'a pas la même popularité que sa consœur – on ne peut qu'approuver la sentence de Koussevitzky, étant émerveillé par la transparence et la beauté des textures sonores. Si Roy Harris est considéré de nos jours comme un compositeur « traditionnel », il n'en reste pas moins vrai qu'à l'instar d'un Poulenc, on le reconnaît à coup sûr après l'audition de quelques mesures, preuve d'une personnalité musicale véritable et incontestable. Les interprétations admirables de l'Orchestre de Louisville sont superbes de chaleur, d'équilibre et de précision, comme à l'accoutumée.

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