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Arturo Toscanini, royal dans Beethoven

Toscanini fut très probablement le plus conscient, parmi ses contemporains, du rôle de l'interprète associé au sens aigu de la responsabilité et du profond respect envers le compositeur, pour lequel il déplorait sincèrement le besoin d'un intermédiaire entre son œuvre et l'auditeur. La musique est le plus fragile de tous les arts, car contrairement aux autres qui peuvent toucher directement le public, elle a besoin de cet intermédiaire pour traduire et révéler la partition à la pure vérité artistique incluse en elle. « Chanceux l'art qui n'a besoin d'aucun interprète ! » disait le Maestro italien, avant d'ajouter tristement « Qui parmi nous est digne de cette tâche, de ce lourd privilège ? »

Depuis des décennies, deux des plus extraordinaires beethovéniens du XXe siècle, Wilhelm Furtwängler et , ont amené les mélomanes à de passionnantes comparaisons, et même des confrontations, révélant souvent, de manière d'ailleurs sommaire et un peu simpliste, la grandiose lenteur, le sens du tragique métaphysique et de l'architecture du premier, devant la clarté, la nervosité et le respect du texte du second. Il est curieux que la comparaison ne concernait que ces deux immenses musiciens, alors qu'elle aurait pu s'étendre à d'autres illustres chefs beethovéniens du moment tels que Felix Weingartner et Willem Mengelberg, pour ne citer que deux d'entre eux, mais alors les différences eussent été plus subtiles ! La comparaison Toscanini–Furtwängler n'avait d'ailleurs le plus souvent pour base que les enregistrements des années 50 des deux chefs, c'est-à-dire à la fin de leur carrière, alors que l'on pourrait trouver des différences non négligeables entre les diverses époques de chacun d'entre eux.

Si les interprétations au disque les plus connues de l'intégrale des Symphonies de Beethoven par Toscanini sont celles accomplies à la fin de sa vie entre novembre 1949 et décembre 1953, et publiées sans discontinuer par RCA-BMG, il ne faut pas oublier qu'elles sont l'aboutissement de trois autres cycles : les deux premiers, malheureusement incomplets, réalisés respectivement avec le BBC Symphony Orchestra et le New York Philharmonic-Symphony Orchestra, le troisième accompli fin 1939 avec le fraîchement créé pour le Maestro et préparé à son intention par Pierre Monteux et Artur Rodzinski. Enthousiasmé par sa nouvelle phalange, et encouragé par les résultats antérieurs du BBC Symphony et du New York Philharmonic-Symphony, Toscanini réalisa son cycle beethovénien le plus abouti entre octobre et décembre 1939. Âgé de 72 ans et en pleine possession de ses moyens, il nous livre des interprétations pleines de vitalité, aussi souples et chaleureuses dans leur lyrisme que celles réalisées auparavant, et aussi ardentes et dynamiques tout en étant moins écrasantes, sévères et rigides que celles des années 50 où l'âge du prestigieux chef commençait à marquer son empreinte.

La photo de présentation du coffret Music & Arts est particulièrement révélatrice : le Maestro entouré de ses chers musiciens scrute une partition dont il espère découvrir les ultimes secrets. Le cycle de 1939 accompli avec le NBC Symphony révéla Toscanini à son apogée, particulièrement soucieux de la structure des Symphonies et de leurs proportions : c'est dans ce cycle que le plus grand nombre de reprises de forme-sonate sont effectuées, Toscanini faisant vraiment figure de pionnier à cette époque ; seules celles des Symphonies n°3 et n°7, et du final de la Symphonie n°5 ne sont pas respectées (par contre – fait exceptionnel – toutes celles du Scherzo Molto vivace de la Symphonie n°9 sont observées). Mais dans les années 50, avec le même orchestre, le chef omettra de plus celles du premier mouvement des Symphonies n°2 et n°4. Pour ces raisons et celles déjà évoquées auparavant, le cycle de 1939 capté entièrement en public paraît le plus recommandable des deux réalisés à la tête du , d'autant plus que la qualité exceptionnelle des transferts accomplis par Aaron Z. Snyder relègue aux oubliettes les éditions précédentes, disparues ou non (Dante-Lys, Naxos, Relief…)

L'album Music & Arts ne présente que l'intégrale des Symphonies, accompagnées, pour faire bonne mesure, des Ouvertures Egmont et Leonore n°1, n°2, n°3. Mais Toscanini avait également enregistré les Ouvertures Coriolan et Fidelio, des extraits des Créatures de Prométhée et du Quatuor à cordes n°16, le Septuor et la Fantaisie Chorale (avec Ania Dorfmann au piano). Il est à espérer vivement que Music & Arts nous offre ces compléments en une réalisation technique équivalente, le tout ne devant d'ailleurs tenir très probablement que sur un seul CD.

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