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De Venise à Kromeriz : mise en scène de la fête liturgique

Auditorium

Or, pompe et pourpre, mouvements tournoyants, jeux de réponses polychorales : cet Office de vêpres totalement imaginaire nous plonge dans l'ambiance de la Contre-réforme. Aux antiennes déclamées en plain-chant par les ténors du chœur I répondent les deux grands chœurs de l'Ensemble vocal de Bourgogne, les instruments anciens du groupe tchèque et les solistes stagiaires des Chemins du Baroque. L'oreille de chacun des auditeurs est sollicitée dans tous les points de l'espace ; les phrases musicales se coupent, s'entrelacent, s'opposent, énoncées par différentes masses, différents timbres et avec différentes dynamiques.

La première audition de ce concert a eu lieu en juillet à Moyenmoutier, puis il a été donné à Sarrebourg, Prague et Kutna Hora. Le choix du programme et la formation des musiciens et des solistes sont le fruit d'une coopération active de deux ans entre des centres culturels de Bourgogne, de Lorraine et l'Institut culturel français de Prague. Un travail musicologique a permis de découvrir des œuvres de toute beauté, notamment dans la bibliothèque du château de Kromeriz en Moravie, où dormaient des pièces de musiciens d'Europe centrale destinées à la liturgie catholique. A côté du nom célèbre de , qui passe pour être le promoteur de la polychoralité vénitienne, qu'elle soit instrumentale, vocale ou mixte, on trouve dans ce programme celui de Tomas Luis de Victoria, qui vécut longtemps à Rome, où il fut l'élève de Pierluigi da Palestrina, et symbolise l'application des directives artistiques du Concile de Trente : son Ave maris stella est à la fois austère et orné.

et Heinrich Ignaz von Biber sont plus connus pour leurs productions profanes, mais les faire voisiner avec le palermitain Bonaventura Rubino et le varsovien Marcin Mielczewski permet de démontrer quel lien unitaire existe entre ces musiciens du monde de la Contre-réforme. Tous semblent avoir compris comment suivre la politique souhaitée par l'Eglise romaine dans une sorte de propagande musicale flamboyante qui use des moyens les plus séducteurs. Les historiens de l'art parlent beaucoup des architectes et des sculpteurs, mais les écrins que sont les bâtiments du culte voués à saint Ignace de Loyola ou saint Charles Borromée résonnaient aussi de véritables trésors musicaux attestant la gloire de l'Eglise, chantant la Vierge et les saints, et soulignant à la fois la vanité et la joie de la vie terrestre.

Etienne Meyer, originaire de Nancy et élève de Bernard Têtu qui fonda l'ensemble vocal de Bourgogne en 1971, obtient des résultats très convaincants de ce chœur d'amateurs. Celui-ci interprète avec conviction ces œuvres touffues dans un parcours pratiquement sans faute. La violoniste Odile Edouard vit véritablement son interprétation, secondée avec brio par un séduisant barbu, notamment dans la sonate de Schmelzer. La sonorité veloutée du cornet à bouquin de Judith Pacquier, l'engagement avec lequel le violone et la viole de gambe voisine jouent le continuo, les sonorités intéressantes des sacqueboutes, tout cela contribue à l'éclat de la sonate de Marcin Mielczewski ; les effets stéréophoniques chantés recto tono sur les mots « sancta Maria, ora pro nobis » revenant en litanie rendent cette pièce particulièrement saisissante. Quant au Magnificat de Biber qui clôt le concert, il est un véritable feu d'artifice à la gloire de la Vierge. C'est dans cette œuvre que l'on entend le mieux la traduction musicale des affects suggérés par les mots. La grande tradition du figuralisme initié au cours de la Renaissance trouve dans les œuvres entendues ce soir le maillon expressif codifié qui nous conduit au style de Bach. Que ce soit dans le chœur Omnes generationes, dans la douceur de l'Esurientes ou dans la vocalise du Gloria final chanté comme un phylactère serpentin par les solistes, on sent la même tradition expressive que le maître de Leipzig portera à son sommet.

Crédit photographique : ©Auditorium de Dijon

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