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La Dame de Pique : Peter Stein tire la mauvaise carte

Troisième volet des opéras de Tchaïkovski après Mazeppa, Eugène Onéguine, avec La Dame de Pique, le monde scénique de semble s'essouffler.

Si sa direction d'acteurs reste remarquable, elle ne suffit malheureusement pas à sauver le spectacle d'un certain inconfort. L'intrigue se déroulant dans des lieux aussi disparates qu'une chambre de jeune fille, un jardin, un salon de bal ou qu'un tripot demande une adaptation scénographique difficile. Les fréquents tombés de rideau et les trop longues pauses nécessaires aux changements de décors plombent le rythme de mises en scène s'orientant vers le simple récit. Sans choisir entre une narration psychologique ou une imagerie concrète, paraît avoir tiré la mauvaise carte. Elle le conduit vers des dérives théâtrales kitch (comme cette statue de la Grande Catherine de Russie ou le pantin du squelette de la Comtesse) qui suscite quelques réprobations discrètement amusées du public.

Pourtant, ses personnages sont bien dessinés. En particulier Hermann qui passe peu à peu de l'exaltation amoureuse pour Lisa à la déraison morbide pour le jeu. Il est vrai que le metteur en scène profite largement de l'expérience des chanteurs, pour la plupart de culture russe et déjà interprètes de cet opéra avant la production lyonnaise. Il se met ainsi à l'abri d'improvisations scéniques malvenues, même si parfois le geste est conventionnel ou exagérément théâtral, comme le pas crédible suicide de Lisa se jetant un peu trop précautionneusement dans la Neva.

Reste le plateau vocal et la musique. Si le premier réserve quelques belles surprises, le second semble plus discutable. Comme dans l'Eugène Onéguine de l'an dernier, la direction de ne réussit pas à insuffler l'énergie que le drame réclame. Se contentant d'accompagner les chanteurs, il oublie d'en souligner la désespérance et les tourments.

Du côté des chanteurs, le velouté de la voix de mezzo-soprano d' (Pauline) bouleverse. Elevant un chant d'une rare douceur sans qu'il manque de puissance, en véritable artiste, elle campe un superbe personnage empreint de bonté apaisante. A ses côtés, la soprano (Lisa) reprend le rôle qu'elle avait déjà interprété sur cette même scène en 2003. Si la voix est très correcte, elle manque singulièrement de couleurs. Jamais la soprano ne semble être en phase avec son personnage, ni elle ne donne l'impression d'être impliquée dans le drame ou d'avoir un quelconque sentiment amoureux pour Hermann. Un Hermann () dont l'implication théâtrale est remarquable de sincérité et de justesse. Pas très en forme, la voix pas toujours très belle, il reste d'une expressivité impressionnante. Autre belle, très belle surprise, le baryton (Prince Eletski) possède l'un des plus beaux instruments vocaux qui soit. Avec un phrasé d'une rare noblesse, il est un prince magnifique. Chantée dans une immobilité habitée, sa romance « Ya vas lioubliou, loublio bezmerno » (Je vous aime, je vous aime éperdument) tire les larmes. Enfin, bousculant la tradition qui veut que le rôle de la Comtesse soit distribué à une cantatrice en fin de carrière, la production lyonnaise s'est assurée de la participation de la jeune mezzo-soprano russe . Sa prestation révèle une partition magnifique que les chanteuses âgées peinent à mettre en valeur. Dans le rôle aussi bien théâtralement que vocalement, offre l'un des instants parmi les plus émouvants de la soirée. Comme on aurait voulu entendre et réentendre encore la romance Je crains de lui parler la nuit… chantée dans un français parfaitement articulé et avec une intensité de narration bouleversante. Envoûtant le public, l'obligeant au silence le plus total, en artiste engagée, la jeune femme a offert un grand moment d'opéra. Grand routinier de la scène, le baryton Nikolai Putilin (Tomski) fait mouche dans la truculence de son personnage.

Crédit photographique : (la Comtesse) © Bertrand Stofleth

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