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Rigoletto à Berne, désert vocal et scénique

Nul doute que le metteur en scène Reto Nickler saura trouver les arguments nécessaires à l'explication de la parfaite cohérence de son travail.

Cependant lorsqu'un groupe de jeunes femmes court-vêtues coiffées d'une tête de lapin sort des côtés d'un immense téléviseur, on peut légitimement avoir quelques doutes quant à l'opportunité théâtrale d'une telle apparition dans ce Rigoletto de Verdi présenté sur la scène du Stadttheater de Berne. Comment comprendre le drame de Rigoletto ? Lire le livret ? Relire Victor Hugo ? Non, il y a mieux à faire. En faisant appel, comme le metteur en scène suisse, aux services d'une dramaturge. Ainsi, à eux deux, ils n'ont eu aucune peine à compliquer à souhait leur hermétique démarche scénique. Et comme le spectacle se perd dans un dédale de non-sens, la vulgarité se doit d'y trôner. Comment expliquer à un public qu'on prend pour idiot que le Duc de Mantoue est un être léger et qu'une femme en remplace une autre ? Tout simplement en le montrant sur des téléviseurs descendant et remontant dans les cintres s'offrant en levrette ses femmes-lapin, comme il le fait de Gilda au soir de leur première rencontre. Rien de suggéré, que du concret. Et qui est Rigoletto ? Un non-personnage. Dès le troisième acte, il arrache le postiche de sa bosse pour terminer l'opéra comme un homme ordinaire. Et comment mieux suggérer la mort de Gilda, qu'en la statufiant assise sur un escabeau (probablement pour ne pas salir sa jupe blanche et sa veste de tailleur rouge) donnant la réplique à Rigoletto avant de s'en aller lentement vers une porte au-dessus de laquelle le logo vert de «sortie de secours» vient de s'allumer ? Rarement, il a été donné à votre serviteur d'assister à un programme lyrique aussi laid et vide de sens.

Si au moins le plateau avait relevé le défi. Malheureusement, sur ce plan, point d'agréable surprise vocale à laquelle s'accrocher. A la décharge des chanteurs, force est de reconnaître la difficulté de se mouvoir avec lyrisme dans un environnement aussi hideux et totalement étranger à l'intrigue. On comprend dès lors que les protagonistes puissent se sentir quelque peu désemparés d'être embarqués dans une telle galère. Cela n'aurait cependant pas dû les empêcher de chanter correctement. Or si la première impression laissée par le ténor (Duc de Mantoue) est bonne, bien vite sa voix montre ses limites. Avec une fâcheuse tendance à détonner dans les notes de passage, il met certaines oreilles à rude épreuve dans ses duos avec la soprano (Gilda). Dans le désert vocal et scénique de cette production, la soprano française s'avère la meilleure protagoniste de ce plateau. Bien que manquant de charisme, elle s'en tire plus qu'honnêtement dans cette difficile partition. Sa fragilité naturelle colle bien au personnage et sa voix, bien qu'un peu petite, jouit d'une belle ligne de chant. Autre protagoniste fâché avec le diapason, le baryton (Rigoletto) campe un bouffon fruste et gauche. Manquant de justesse dès lors qu'il force le ton de la voix, il est en revanche assez convaincant dans les duos qu'il mène avec sa fille Gilda. De son côté, le Sparafucile de reste peu concluant même s'il possède un instrument vocal impressionnant, alors que, la mezzo chinoise Qin Du (Maddalena) manque sensiblement de médiums pour l'unité de son registre vocal.

Les chœurs du Stadttheater de Berne se révèlent à la hauteur de leur tâche même si le travail scénique de l'ensemble s'avère passablement bâclé. Reste la prestation du Berner Symphonie-Orchester qui, sous la direction de , offre quelques moments de lyrisme verdien de très belle facture.

Cherchant à dissiper l'ennui que procure la vue cet affligeant spectacle en se plongeant dans la lecture du programme de la soirée, on y apprend que Reto Nickler enseigne la mise en scène à l'Université de Musique de Vienne ! Si ses élèves suivent ses préceptes à la lettre, on peut craindre le pire pour le futur de l'art lyrique !

Crédit photographique : (Rigoletto) & (le Duc de Mantoue) © StadttheaterBern

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