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Macbeth à Dijon, Bruit et fureur

« Voici l'heure où le meurtre décharné, averti par sa sentinelle le loup, dont les hurlements lui servent de parole, s'avance comme un fantôme à pas furtifs, vers ses desseins… La vie n'est qu'une ombre qui marche : elle ressemble à un comédien qui se pavane et s'agite sur le théâtre une heure… »

Ces deux phrases sont prononcées par Macbeth dans la pièce de Shakespeare, dont l'opéra est une traduction musicale fidèle, et elles semblent inspirer les desseins d' dans sa mise en scène de l'œuvre de Verdi. Il est assisté par une équipe qui travaille efficacement pour la scène dijonnaise et parvient à un résultat percutant.

Sa mise en scène dépouillée utilise les couleurs du sang et de la nuit pour illustrer la soif de pouvoir de Macbeth et de sa dame, et l'horreur des crimes ordonnés par ce couple infernal. Les couleurs changent progressivement, évoluant vers les gris blafards et le noir et blanc pour évoquer la chute progressive de ces antihéros. A plusieurs reprises douze lances jaillissent du sol comme pour rappeler les paroles bibliques : celui qui frappe par le glaive périra par le glaive ; à moins que le cercle qu'elles forment n'évoque le Moyen Age de la geste du roi Arthur, entouré de ses preux comme le Christ au milieu de ses apôtres. Mais on peut y voir aussi le symbole du cercle infernal du crime qui en appelle un autre ; à moins que ce soit le cadran d'une horloge qui mesure le temps théâtral de ceux qui « se pavanent et s'agitent sur le théâtre une heure ».

Car on tue beaucoup dans cet opéra, avec une amoralité cynique qui peut sembler délectable au spectateur. préfère cependant suggérer les meurtres, par exemple en faisant descendre des cintres un poignard lumineux au dessus du roi Duncan endormi ; poignard qui réapparaît au quatrième acte pour cette fois transpercer Macbeth. En revanche il se montre délibérément gore en nous montrant des cadavres empalés comme des poulets sanglants sur des lances lumineuses, notamment lors des apparitions provoquées par les sorcières au troisième acte. Ces dernières sont vêtues de collants rose chair ; leur corps présente des boursouflures hideuses, leur pilosité est hasardeuse ; elles ne se déplacent qu'en groupe, formant une sorte d'hydre tentaculaire. On peut quand même regretter la disparition du corps de ballet sur la scène dijonnaise, qui nous prive de l'invocation à Hécate du troisième acte.

On a délibérément choisi de conserver pour les autres protagonistes pratiquement les mêmes costumes tout au long du spectacle. Ces costumes rappellent ceux de l'époque élisabéthaine, mais en optant pour les matières modernes, sortes de cuirs souples synthétiques et lourds employés aussi bien pour les chœurs que pour les protagonistes principaux, ils évoquent aussi la montée du fascisme. Le rôle de lady Macbeth est véritablement écrasant et le nombre de qualités qu'il requiert est impressionnant, car cette mégère non apprivoisable occupe le centre de l'œuvre. Conquérante au premier acte dans l'aria « Vieni ! T'affretta », elle invoque la nuit comme une sorcière dans « La luce langue ». Elle doit être mondaine avec panache dans le Brindisi du deuxième acte, mais au quatrième dans « Una macchia… è qui tuttora » elle est une femme usée par ses visions qui révèlent sa fragilité profonde. est étonnante, car elle sait exprimer avec maestria les différentes facettes de ce personnage ; il y a en elle des qualités qui rappellent celles de Régine Crespin, dont elle fut l'élève. Elle sait se montrer diabolique à souhait en exploitant avec musicalité tout l'ambitus de sa voix ; elle n'a visiblement pas oublié ce que Verdi lui-même désirait pour l'interprétation de son personnage : surtout ne pas être trop joliment expressive !

Il est difficile d'exister à côté d'une telle tornade, et André Heybœr peut sembler par comparaison un peu trop policé ; sa présence scénique est un peu terne par rapport à sa belle performance vocale. Les rôles secondaires, qui le sont ici vraiment, ne déméritent pas non plus. Macbeth, évocation de la noirceur de l'âme humaine, baigne dans un cadre historique. Depuis Nabucco, Verdi a compris l'importance du chœur : celui-ci participe à l'action comme son homologue antique, mais il apporte aussi un éclairage sur les événements contemporains liés à l'unité italienne. Les trois sorcières de Shakespeare sont remplacées par des chœurs de femmes qui jouent le rôle déterminant du destin : ils sont très pittoresques dans leurs invocations. La mise en scène accentue superbement l'aspect dramatique du chœur des sicaires du second acte et le fameux chœur mixte « Patria oppressa » ne trompe pas notre attente.

La direction musicale de nous suggère cependant quelques réserves. Le résultat obtenu par l'orchestre est certes très honorable, avec une mention spéciale pour les vents : les bois sont sensibles et les cuivres efficaces dans les fanfares. Mais les tempi choisis nous troublent quelque peu, car leur lenteur fait parfois languir le rythme théâtral. Cet opéra « plein de bruit et de fureur » gagnerait à être mené tambour battant, avec certes les temps de détente voulus par Verdi, et surtout avec un élan encore plus romantique. Cette œuvre reste exceptionnelle et le spectacle présenté est quand même d'une grande qualité.

Crédit photographique : © Hervé Scavone

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