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Jean Sibelius, un maître sans école

Nous vous proposons de partir à la recherche de la postérité de en dehors des frontières nationales. L'art de a-t-il pu générer ou inspirer un courant esthétique plus large en dehors de la Scandinavie ? Sans se disperser dans d'inutiles et stériles circonvolutions la réponse est simplement négative.

Certes, ici ou là, est-il possible de détecter une influence ponctuelle, un emprunt, volontaire ou non, un timbre orchestral ou un rythme redevable de son écriture, mais on ne détecte jamais l'existence d'un courant, d'une école de pensée ou d'écriture dont il serait l'inspirateur, même involontaire. Bien évidemment, divers compositeurs postérieurs à sa période créatrice se sont exprimés à l'occasion sur le respect que leur inspirait sa musique et même souvent sa personnalité tourmentée mais si proche de chacun vue sous son aspect contingentiel. Mais tous ont essayé de s'éloigner de son ombre menaçante afin de s'exprimer sans risquer d'être happé par son génie. Il en fut de même à une certaine époque (par exemple de la part de Carl Nielsen et de Sibelius lui-même au tout début de leur carrière) vis-à-vis de l'œuvre de Richard Wagner.

Par ailleurs, il convient de préciser qu'après le classicisme, le romantisme, le post-romantisme, le néo-classicisme, la libre tonalité et le dodécaphonisme, d'autres courants modernistes ont plus ou moins balayé les esthétiques précédentes et que l'art de Sibelius n'échappa pas, pendant plusieurs décennies, à cette évolution inéluctable. En Scandinavie et ailleurs dans le monde, il y eut bientôt, individuellement, les pros et les anti Sibelius. Mais jamais d'école organisée à sa gloire. La réputation de Sibelius en souffrit peut être dans un premier temps ne trouvant pas de force suffisamment puissante et déterminée pour en assurer la défense. Heureusement, l'acceptation progressive de tous les moyens et de toutes les formes d'expression (en dépit de certains dogmatismes puissants et acharnés mais aujourd'hui relativisés et dépassionnés) a permis à la musique de Sibelius (et de bien d'autres créateurs de grande valeur) d'exister et d'enchanter des milliers d'auditeurs de part le monde.

La coloration nationale de sa musique lui a valu d'abord une assez large reconnaissance. Puis un contre-courant dévalua temporairement les arts fêtant les nations politiquement et culturellement émergentes. Ces créations se retrouvèrent bientôt marginalisées. Ultérieurement l'évolution esthétique plus personnelle et introvertie de son catalogue ne facilita pas sa diffusion auprès d'un large public.

Le purgatoire imposé à l'œuvre de Sibelius est bien dépassé à présent et les jugements le concernant honorent admirablement sa mémoire et son legs artistique. Nous indiquerons simplement maintenant un petit nombre de personnalités ayant défendu le catalogue du maître de Järvenpää (localité où il vécut de nombreuses années en famille sur une propriété isolée portant le nom de sa femme : Ainola) dont aucune ne saurait constituer à elle seule le moindre courant de masse ni d'ébauche d'école organisée.

En Angleterre et aux Etats-Unis la musique de Sibelius a trouvé de nombreux défenseurs et admirateurs sans jamais cependant provoquer l'apparition d'une école ou d'un courant dédié. Des personnalités comme R. J. Mœran (1894-1950), Robert Simpson (1926-1997) et plus tard Peter Maxwell Davies (né en 1934), George Benjamin (né en 1960), Olivier Knussen (né en 1952) ont reconnu leur dette respective envers Sibelius tout en ne perdant pas leur personnalité propre.

Sibelius effectua plusieurs voyages en Grande-Bretagne et y rencontra toujours un accueil chaleureux tant au sein d'une certaine intelligentsia, que du public et de la critique. Le musicien Constant Lambert (1905-1951), dès 1948, encensait sans mesure la musique de Sibelius (avis concernant sans doute davantage les aspects spirituels que simplement techniques) la déclarant nettement supérieure à celle produite par nombre de grands noms de la création.

En France par contre, les détracteurs ont été nombreux, et, plus nombreux encore ceux qui ne montrèrent qu'une indifférence souveraine, d'autant plus méprisante souvent qu'ils ne connaissaient pas du tout cette musique. L'impact puissant des créateurs nationaux, celui non moins intense du wagnérisme également, puis successivement les (re)découvertes de Vivaldi, de Bruckner, de Mahler et de Janacek, ont contribué, involontairement bien sûr, à maintenir la musique de Sibelius dans une ignorance hexagonale (si l'on ne tient pas compte du travail précurseur de quelques spécialistes isolés certes mais sincèrement motivés et convaincus).

Parmi les initiatives isolées il convient de rappeler les efforts de (1881-1984) qui en 1946 favorisa la tenue d'un concert à Paris dirigé par le Finlandais (1908-1985) dans le cadre d'un échange entre les radios française et finlandaise. Malgré les conditions d'exécutions difficiles (salle non chauffée, musiciens jouant gantés, premier contact…) l'Orchestre national fit de son mieux et illustra avec bonne volonté ce Festival Sibelius qui proposait la Septième symphonie en do majeur, la musique de scène de la Tempête et le poème symphonique Tapiola. Toutefois il faudra attendre encore la fin des années 1960 pour voir apparaître de temps à autre une œuvre du maître finlandais. En France toujours, la défense de ce catalogue fut assurée, et l'est encore souvent, par des chefs étrangers comme Colin Davis, Paavo Berglund, , Alexander Gibson, Esa-Pekka Salonen, mais encore Marek Janowski, Jacques Mercier (responsable des premières françaises de Kullevo, des Quatre Légendes pour orchestre…). L'Orchestre de Paris, l'Orchestre philharmonique de Radio- France, l'Orchestre national d'Ile-de-France ont souvent été les instruments de ces exécutions. C'est toutefois principalement par l'enregistrement que s'est installée plus confortablement la réputation de Sibelius en France. Cela grâce au talent et à la réputation de chefs de la stature de Lorin Maazel, Leonard Bernstein, , Herbert von Karajan, Colin Davis, Guennadi Rojdestvensky, Paavo Berglund. A cet égard il convient de souligner le travail incontournable effectué pendant des années par des revues comme Répertoire, Classica-Répertoire et Diapason (et jadis la revue Harmonie).

Au plan de l'influence créatrice la France compte quelques marques d'influence (il ne s'agit toutefois jamais d'adhésion massive ni de système constitué). Ainsi les jeunes compositeurs de l'école dite « spectrale » ont reconnu des liens avec le Finlandais. On pense à cet égard à Hugues Dufour (né en 1943) dans sa pièce intitulée Saturne par exemple. En 1980, Tristan Murail a dirigé la Symphonie n° 7 au même programme que sa propre œuvre Gondwana. On sait aussi par exemple que Gérard Grisey (né en 1946) et Pascal Dusapin (né en 1955) positionnent l'art de Sibelius à un niveau égal à celui de Debussy. Ce sont essentiellement les dernières œuvres de Sibelius (Symphonies 5, 6 et 7, Tapiola, La Tempête) qui inspirent plus ou moins lointainement ces créateurs.

En Allemagne Sibelius fut apprécié au début du XXe siècle. Mais elle le négligea ensuite après la Première Guerre mondiale et encore après la fin de la Seconde Guerre mondiale sans doute en rapport avec la popularité de sa musique auprès des institutions allemandes. Jamais Sibelius n'a manifesté de bienveillance envers le régime nazi. La mainmise de la musique sérielle sur l'art musical après l'année 1945 acheva de repousser la musique finlandaise en périphérie jusqu'à ce que l'on prenne enfin conscience que d'autres immenses symphonistes existaient en dehors de la sphère germanique. Là, le rôle de Karajan (1908-1989) fut majeur. Renforcé par le travail interprétatif de Hans Rosbaud (1895-1962) et d'autres aussi… Des compositeurs comme Wolfgang Rihm (né en 1952) et Mandred Trojahn (né en 1949) ont subi aussi son influence dans une certaine mesure.

En Russie, Sibelius bénéficia d'une écoute positive dès ses débuts. L'intégrale de Rojdestvensky à la tête de l'Orchestre de la Radio d'URSS demeure l'une des plus remarquables de toute l'histoire de l'enregistrement sibélien.

Le Polonais Witold Lutolawski (1913-1994) présente quelque parenté d'écriture au plan du déroulement musical allant d'une idée simple vers une complexification croissante, ménageant une réelle attente et une réalisation dramatique.

Dans les pays nordiques il est justifié d'indiquer que la technique de croissance thématique, et d'autres caractères de la musique de Sibelius (masses sonores typiques, études de la couleur, vitesse différente des strates instrumentales.. ), a marqué des compositeurs comme Vagn Holmbœ (1909-1996) et Per Nørgård (né en 1932) au Danemark, comme Aulis Sallinen et dans une certaine mesure seulement Magnus Lindberg (né en 1958) et Kaija Saariaho (née en 1952) en Finlande.

Un Maître sans descendance.

Ainsi donc en dépit d'une reconnaissance élargie et d'influences (somme toute réduites) ni Sibelius lui-même ni sa musique n'ont induit d'élèves inconditionnels ni de courants déclinant fidèlement son esthétique. Sibelius est et reste inimitable. Son destin et son art se suffisent largement à eux-mêmes. Il est bien évident que sa production n'engendre aucune lassitude, n'évoque aucun passéisme et nous le fait apparaître pleinement comme notre authentique contemporain. Sibelius pour les musiciens cités supra a constitué une certaine source d'inspiration pour l'élaboration de leur univers musical marqué plus largement, la plupart du temps, par le flux touffu et complexe des courants pluralistes venus des horizons les plus variés et divers.

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