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Cecilia Bartoli s’offre au belcanto

Comme un boxeur remettant sans cesse son titre en jeu, remet en jeu sa réputation dans des expériences artistiques sans cesse renouvelées. Cette constante prise de risques est la raison d'être de cette artiste.

Après avoir fait redécouvrir l'art lyrique de Vivaldi, remis Gluck à une place qu'il méritait en dépit de sa passagère éclipse, réhabilité la musique d'Antonio Salieri, touché de près le monde de l'opéra interdit sous la toute puissance papale de Clément XI, aujourd'hui, elle dévoile sa longue passion pour La Malibran à travers un disque, des récitals et une exposition itinérante. Il ne manquait au tableau qu'elle ne la fasse revivre sur scène. Avec Clari d'Halévy, l'un des deux opéras italiens du compositeur de La Juive, c'est chose faite.

Ne vous attendez pas à ce que cette Clari redécouverte par figure parmi les œuvres injustement oubliées de Jacques . A sa création en 1828, elle n'a été jouée que six fois et reprise pour seulement quatre représentations l'année suivante. Depuis, plus rien ! Et pour cause, l'argument de cette comédie sérieuse est bien trop léger pour captiver les foules. Clari, une pauvre mais jolie fermière est appelée par le duc qui veut en faire son épouse. Par convenance envers les gens de sa cour, il l'a jusque-là présentée comme sa cousine. Pour l'anniversaire de Clari, le Duc organise une fête où l'on joue une comédie en son honneur. Clari reconnaît sa vie dans cette comédie et au moment où apparaît Luca, incarnant son père, Clari réalise soudain qu'elle a abandonné sa famille dans la misère. Prise de remords, elle s'effondre et, refusant le mariage promis, elle s'enfuit. Le Duc comprend alors qu'il aime la jeune fille. Il part à sa recherche pour la retrouver chez ses parents. Il lui offrira de l'épouser sur le champ, comblant les parents de présents les mettant ainsi à l'abri de la misère.

A Zurich, il fallait toute l'inventivité de et de pour tirer de cette «petite» histoire des scènes susceptibles d'intéresser le spectateur. En transposant la comédie du XIXe siècle dans l'Amérique des années cinquante, ils ajoutent au kitch des décors et des costumes les couleurs de la guimauve et des bonbons acidulés. Le bariolé des costumes, le vert-pomme d'un canapé sur un sol orangé voisinant avec des parois vert-citron, ce qui s'annonce comme une mise en scène déjantée se range peu à peu dans les rails de l'intrigue pour laisser place à des scènes touchantes quoique non dépourvues d'humour. Le Duc voyageant en 4×4, le père de Clari regardant le match de football à la télévision pendant que sa femme boit des rasades de gnole en cachette alors qu'en animal de compagnie, le cochon de la ferme est étendu à côté du fauteuil du vieux fermier. Les idées loufoques de mise en scène détournent subtilement l'attention du spectateur des moments creux du livret.

Musicalement Clari inspire à Halévy des pages superbement harmonisées, loin des clichés faciles que son illustre contemporain Rossini n'aurait pas manqué d'offrir dans une telle intrigue. Traitée comme une musique de chambre avec les cordes laissant les développements de la mélodie aux bois (quels beaux moments de clarinette !) la partition de cet opéra fait la part belle à l'héroïne. La Malibran d'alors est La Bartoli d'aujourd'hui.

Comme à son habitude, la soprano romaine ne ménage pas son art, l'offrant avec générosité à un public aussi étonné qu'admiratif. Etonné de voir leur diva en blonde, vêtue d'un tailleur émeraude trop serré, puis d'une robe fleurie rose-bonbon, une Bartoli prenant un évident plaisir dans cet inhabituel aspect de son répertoire. S'offrant au belcanto, on reste admiratif de son entrain, de sa fougue, de ses vertigineuses vocalises comme de ses pianissimi sublimes. Capturant son auditoire dans son chant, on entend les mouches marcher ! L'introduction d'un «aria di baule», ces airs tirés des valises des primedonne qu'elles exigeaient de chanter pour briller lors de leurs prestations, offre un moment suspendu avec l'air de Desdémone de l'Otello de Rossini. Très musicienne, consciente de ses capacités extraordinaires, elle ne cherche pourtant pas à briller au-delà de ce que le rôle demande. Avec une probité artistique formidable, elle se fond dans l'intrigue se faisant totalement complice des autres protagonistes. Ainsi, l'homogénéité de la distribution s'en trouve préservée. Le ténor (Il Duca) qu'on aurait parfois aimé vocalement plus éclatant ne démérite pas face au talent de La Bartoli. Ni d'ailleurs la soprano Eva Liebau (Bettina/Adina) qui pétille d'un instrument vocal brillant et souple alors qu'on retrouve avec bonheur un Carlos Chausson (Alberto) toujours aussi juste dans son théâtre et aussi percutant dans sa vocalité. Aux ordres du chef , La Scintilla, l'orchestre attitré de (à moins que ce soit le contraire !) complète le plaisir des oreilles.

A la confidence de l'héroïne de la soirée, on apprend qu'une captation de ces représentations zurichoises pourrait voir bientôt le jour sur un DVD ou un enregistrement sur CD !

Crédit photographique : Cecilia Bartoli (Clari) © Suzanne Schwiertz

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