- ResMusica - https://www.resmusica.com -

Médée au Grand Guignol

Pour son ultime spectacle de la saison lyrique, le Stadttheater de Berne présente Medea, le trop rarement montré opéra de .

Si présenter une telle œuvre ressort d'une volonté d'offrir un spectacle d'une force dramatique dévastatrice, les attentes suscitées par cet événement sont loin d'être comblées. À Berne, le théâtre ne s'est pas offert les moyens de ses ambitions. Tant sur le plan théâtral que sur le plan musical.

Dans sa mise en scène, Jakob Peters-Messer transpose l'action de la Grèce antique dans un royaume hypothétique qu'on pourrait situer à une époque shakespearienne si les costumes n'étaient uniformément taillés dans des hauts de pyjamas bleu-vert foncé aux manchettes et col bordés d'une passementerie noire tout droit sortis des personnages de la série télévisée Star Trek. Les principaux protagonistes n'échappent guère à la monotonie symbolique des costumes, le même bleu-vert habillant le roi Créon, les enfants de Jason et les membres de la cour. Si Jason et Glauce se promènent en tenue blanche (admirable inventivité costumière pour le jour de leur noce !) Médée, l'ange exterminateur, se présente en robe de cocktail noire (à moins qu'il ne s'agisse d'une combinaison). La trame dramatique peine à s'imposer en dépit d'un gigantisme de pièces de décors. Comme cette incongrue météorite d'acier noir, perforant l'un des murs de la salle où se doit dérouler la noce, servant de véhicule à l'entrée de Médée. Telle une femme fatale, vêtue d'un manteau de cuir noir, une perruque rousse fichée sur la tête et ses lunettes noires, elle fait plus penser à la Lulu d'Alban Berg qu'à la magicienne de la mythologie grecque. À court d'idées, Jakob Peters-Messer sert confusément le livret. Ainsi, pour illustrer Médée invoquant les dieux pour l'aider à accomplir sa vengeance, son héroïne procède aux meurtres de Glauce et de ses enfants qui, repartant en coulisse, auront droit à un second tour d'assassinat quand Médée met son rêve invocateur à éxécution. À grands renforts d'hémoglobine, la scène se termine dans un bain de sang digne du Grand Guignol de nos grands-parents.

Inséparable des interprétations de Marias Callas et autre , Médée fait l'objet de la fascination des amateurs d'art lyrique. Femme entière, excessive, contradictoire, meurtrière par amour comme par vengeance, la figure de Médée ne se réclame plus du bel canto. Avec cet opéra, Cherubini se situe musicalement à mi-chemin entre la création de La Clemenza di Tito de Mozart en 1971 et celle Leonora, la première mouture de Fidelio de Beethoven en 1805. Il marque l'art lyrique d'une empreinte qui poussera la création musicale aux portes de l'opéra romantique. La figure vocale de Médée se situe donc dans les cordes d'une Turandot, d'une Elektra, d'une Norma avec une voix de soprano dramatique. La soudaine indisposition de la soprano titulaire de cette production a obligé la direction du Stadttheater de Berne de faire appel à une remplaçante. Ainsi, en lieu et place de Leandra Overmann, c'est la soprano polonaise Elzbieta Szmytka qui a repris le rôle avec un préavis de trois jours avant cette première représentation. D'emblée, il faut saluer sa performance qui fait preuve d'un engagement théâtral généreux même si ses déambulations scéniques, titubant la tête entre les mains ne relève pas d'une nouveauté théâtrale transcendante en matière de désespoir. Au reste, elle n'a malheureusement pas la voix du rôle. Sa vocalité par trop légère l'empêche d'être dans les excès dramatiques du personnage. Dès lors, essayant de combler ces manques, elle tend à hurler ses désespérances au lieu de lui donner les couleurs du drame. Elle demeure toutefois l'élément vocal le plus intéressant de la distribution avec la mezzo-soprano Qin Du (Neris) dont le Solo un pianto con te versare du second acte s'avère un moment d'une bouleversante authenticité. De leurs côtés, le ténor Thomas Ruud (Giasone) se trouve souvent aux limites de sa vocalité alors qu' (Glauce) campe une mariée bien pâle quand bien même sa voix possède le registre de son rôle. Si la basse (Creonte) pouvait se permettre quelques écarts de justesse dans l'action comique de son récent Don Basilio (que votre serviteur a malencontreusement rebaptisé du nom de l'interprète de Fiorillo : Ivaylo Ivanov ! avec mes plus plates excuses à ces deux artistes), ces incertitudes vocales sont ici plus gênantes.

Hormis la décevante mise en scène de cette Medea, la prestation du Berner Symphonie-Orchester est à mettre au compte des autres déceptions de la soirée. La faute à une direction sans énergie ni grandes recherches de couleurs orchestrales de son chef dont la baguette n'est jamais parue aussi molle. Autre motif d'énervement, la décision de ne pas user des récitatifs chantés. Si l'authenticité de la partition originale requiert en effet ces récitatifs parlés, la prononciation de la langue italienne de tous les protagonistes se révèle si désastreuse qu'à n'y rien comprendre autant valait les chanter.

Crédit photographique : © Stadttheater/Philipp Zinniker

(Visited 339 times, 1 visits today)