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Valery Gergiev, artificier de génie

& Academy 2008

Le concert de clôture de la quinzième édition du Festival de Verbier se devait d'être une apothéose et la venue du bouillant chef russe dirigeant la 5° Symphonie de annonçait un explosif bouquet final. Il n'a pas manqué au rendez-vous même si la surprise de cette soirée était ailleurs.

En effet, en ouverture de ce concert, la création et première mondiale de l'air de la tzigane extraite du «Pèlerin Enchanté» de a littéralement cloué le public sur place. La puissance de cette musique, la diversité de ses timbres, ses rythmes, ses chauds et froids, ses contrastes prennent le souffle. Quelles formidables pages orchestrales, quel chant musical, quelle inspiration dans cette composition où la voix se mélange subtilement aux cuivres, aux bois et aux cordes. Et sous la direction enflammée de cette musique charnelle prend une dimension tellurique. Avec son sens de faire parler la musique, il se plonge dans la complexité de cette partition pour en tirer la mélodie, la dissonance, la couleur d'instruments qui dira la joie, le soleil, la tempête ou le désespoir. Aidé par une Kristina Kapustynska d'une beauté vocale sans comparaison, ils livrent une œuvre pénétrante et bouleversante. Transcendée par la vigueur de cette musique, la mezzo ukrainienne chante sa complainte avec une voix d'un équilibre du registre grave à l'aigu tout simplement époustouflant. La musique danse avec le chant de la jeune femme. Elle se module en même temps que la chanteuse la souligne en arabesque du bras. Dansant entre les pupitres, dirige avec de larges gestes, les mains tremblantes pour signifier un diminuendo ou s'arrêtant brusquement pour écourter la note des violons ou des cuivres. Tout son corps participe à la musique, il se meut comme s'il voulait sortir de lui-même pour exprimer la musique au-delà de la partition. Au-delà du réel. Hallucinant sermon de cet homme possédé de musique. Possédé de LA musique. En quelques minutes, l'orchestre est sous l'emprise de ce diable de chef. Bientôt suivi d'un public entraîné dans le tourbillon des rythmes soutenus puis soudain cassés. Un crescendo de chant, d'onomatopées, de cloches, de percussions, de trompettes et de cors pour culminer dans un cri final lancé comme un «Au secours» désespéré. Alors, le public jusque-là subjugué explose en bravos libérant la pression émotionnelle qui l'étreignait. Un triomphe adressé non seulement à l'orchestre, à la mezzo-soprano et au chef, mais encore au compositeur , présent à cette création. L'homme de petite taille se plie avec modestie devant ces ovations, les mains croisées contre sa poitrine, comblé en même temps que surpris de la chaleur que le public réserve à son œuvre.

Avec cette formidable introduction, on espérait que la tension émotionnelle se prolongerait dans le superbe et ironique Concerto en Sol majeur de Ravel. Malheureusement, , terne et froide rate son rendez-vous musical avec l'électrisant Valery Gergiev. Rien de nouveau sous les doigts de la pianiste dans cette partition qu'elle domine techniquement. Mais quel manque cruel de densité et d'expressionnisme ! Jamais le sublime second mouvement de ce concerto n'aura été autant gâché par son absence de lyrisme. À défaut, l'intérêt se porte vers l'orchestre et la vision musicale de Valery Gergiev. Soulignant l'humour de la partition ravélienne, son aspect jazzy, il en offre une lecture imagée et surprenante. Avec lui, la folie et son investissement musicaux l'emmènent vers des solutions sonores inhabituelles, comme de laisser aux violoncelles la voix principale des ultimes mesures du premier mouvement. Redécouvre-t-il ainsi la partition si souvent jouée ? Est-ce judicieux ? Un anathème ? Qui sait ? Reste que cet artificier de génie ne laisse jamais la musique le conduire ou se répandre dans l'inutile. Chaque note, chaque intervention est là pour raconter.

Feux d'artifice encore avec la Cinquième Symphonie de . Toujours habité par son monde d'images, Valery Gergiev perce les méandres mahlériens dans un premier mouvement avec une évidence désarmante. C'est un film qu'il déroule. Un film s'ouvrant sur une grandiose et angoissante marche funèbre proposée avec une noblesse et une grandeur orchestrale poignantes. Si Gergiev se perd un peu dans les deuxième et troisième mouvements, là où la musique de Mahler semble ne pas se sceller sur un thème précis, il offre le fameux Adagietto avec une profondeur extatique extraordinaire. Ce que le chef russe est capable de «sortir» des tripes de ses cordes est tout simplement prodigieux. Et sur cette lancée d'émotions, il enchaîne le dernier mouvement de la symphonie en rassemblant ses musiciens autour d'une communion enjouée.

Nous avons déjà eu l'occasion de vanter les mérites de l'UBS Orchestra formé sous la houlette de son chef titulaire, James Levine. En raison des remous financiers dus à la crise des subprimes, le principal commanditaire de l'orchestre s'est retiré de son financement. Jusqu'à récemment, la crainte de voir ce magnifique ensemble disparaître de la scène se profilait. Heureusement, la pérennité de l'orchestre existera grâce à son financement par des sources publiques de la région et des mécènes. Un soulagement certainement complice à l'excellente prestation de ces jeunes musiciens. Au point que Valery Gergiev a amené le premier corniste à saluer devant l'orchestre !

Crédit photographique : photo © Mark Shapiro

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