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Une Tosca mise à nue

et sont désormais des habitués de la scène nantaise, où ils ont signé de probantes réussites comme cette Flûte enchantée réinventée de façon ludique, cette Jenufa primée par le syndicat de la critique ou ce sidérant Château de Barbe-bleue.

Si Tosca nous réserve des satisfactions plus mitigées, on ne peut lui nier son originalité. En effet, les maîtres d'œuvre ont décidé de s'affranchir de la plupart des éléments spatiaux et temporels, pour mieux souligner la force des caractères trop souvent masquée par le décorum, et concentrer leur lecture sur le vice et la manipulation, laissant ainsi la part belle au personnage de Scarpia. Le dispositif du premier acte évoque l'atelier du peintre, sans autres références religieuses qu'une statuette de la Vierge et l'aube des enfants de chœur. Le Te Deum, considéré par les metteurs en scène comme un moment d'intimité et concentré sur le seul délire libidineux de Scarpia, surprend avec ses chœurs alignés dans une tribune au fond de la scène. Les costumes comme le mobilier nous rapprochent des années 1960 et les fastes romains ne sont suggérés qu'à deux reprises : une jolie toile peinte pendant la cantate du deuxième acte, et un diaporama projeté pendant le chant du berger. S'appuyant sur des éclairages travaillés, Caurier et Leiser font preuve une fois encore d'un étonnant sans de l'image, même si certains effets paraissent exagérés comme la projection de sang lorsque Tosca poignarde le chef de la police.

Le parti-pris est défendable, même s'il se révèle frustrant par instants, du fait de l'absence de symboles forts (les chandeliers du deuxième acte) ou de scènes tombant à plat (l'exécution de Mario évoquant une série B). Il exige en contrepartie une direction d'acteurs précise et imaginative. Les maîtres d'œuvre de cette production ont trouvé en un acteur inspiré, sanguin et menaçant, consumé de désir bestial. Ce Scarpia rugissant nous impressionne, même si l'on souhaiterait plus de subtilité parfois dans le chant ample, mais frappé presque uniformément d'une rugissante autorité. Le chanteur nous démontre pourtant fugitivement qu'il a les moyens de plier son imposant baryton à de belles nuances.

Dans l'esprit des promoteurs du spectacle, l'histoire amoureuse est reléguée au second plan par l'intrigue politique. C'est peut-être la raison pour laquelle la gracile semble sur la réserve au premier acte, où la sensualité du personnage peine à s'exprimer. L'actrice se reprend dans l'expression de la douleur et nous émeut dans un Vissi d'Arte d'une poignante détresse et d'une délicate musicalité, ce qui est d'autant plus méritoire qu'elle l'interprète tandis que Scarpia l'effeuille méticuleusement. La chanteuse nous impressionne avant tout par un aigu facile et puissant, mais quelques signes de fatigue nous laissent penser qu'elle aurait péril à multiplier des productions de Tosca et de Salomé à un rythme trop soutenu. Le point faible de la distribution est le jeune ténor chilien , qui semble ne miser que sur un instrument naturellement flatteur, trahissant une technique encore précaire dans un chant dépourvu de nuances, avec des aigus attaqués par le bas et des effets déplacés. Scéniquement maladroit de surcroît, il incarne, malgré un physique crédible, un bien pâle Mario.

s'attache à faire briller les pupitres de l'orchestre, et nous livre une prestation très professionnelle, avec d'impressionnants fortissimi qui font vibrer le théâtre Graslin. Il ne manque à cette lecture qu'un petit supplément d'âme, un frémissement interne, à l'image de cette production tout à fait digne d'intérêt sans parvenir à emporter totalement notre adhésion. L'appréciation de chacun se mesurera en définitive à sa foi en la possibilité de dépouiller Tosca de sa pompe et des ses atours pour mettre à nu un récit assez sombre d'absolutisme et de souffrance.

Crédit photographique : (Tosca) et (Scarpia) ; Nicola Beller-Carbone (Tosca) et (Mario) © Jeff Rabillon

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