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Les quatre jumelles de Régis Campo : Passe-moi la seringue, salope !

Non, prude lecteur, ce titre ne vient pas du cerveau torturé de l'auteur de ces quelques lignes, mais il s'agit d'un extrait du livret des Quatre jumelles, qui reprend la pièce originale (et homonyme) de Copi. Le dessinateur-dramaturge argentin d'expression francophone (Raul Damonte Bontana pour les intimes) a écrit cette pièce en 1973, mise en scène par Jorge Lavelli (excusez du peu) lors de sa création.

Pour cette reprise en version lyrique (a priori le premier opéra d'après Copi à notre connaissance) a supprimé nombre de cris de l'original (les pièces de Copi regorgent de «AH ! OH ! AIE ! OUILLE ! HI !» etc. ) tout en gardant et exagérant les interjections et les insultes. Nous retrouvons donc un opéra bouffe typique, avec ses gags, ses quiproquos, son rire empli de gravité, ses onomatopées, etc. Sauf qu'au lieu de «pif, paf, pouf et ratatatam» on a«sa-sa-sa-sa-sa-salope».

Le propos est simple : nous sommes en Alaska. Les sœurs Smith sont richissimes et droguées, les sœurs Goldwashing sont pauvres et droguées. Ces dernières tentent logiquement de soutirer de l'argent aux premières. Cela ne se passe pas aussi simplement que prévu, et nous voyons ces doubles s'entre-déchirer, se réconcilier, s'allier, au gré de leur folie, de leur manque en drogue ou de leurs overdoses.

La mise en scène de prône un éloignement brechtien, salutaire pour un texte aussi graveleux. Les personnages sont masqués derrières leurs imposants maquillages, leurs perruques stylisées et leurs semelles compensées. Tout est dans le geste, le symbole et l'économie de moyens, avec un intelligent jeu d'ombres projetées sur les panneaux blancs qui délimitent la scène, créant ainsi des doubles de ces personnages déjà doubles eux-mêmes. La confusion entre jumelles atteint par ces ombres impersonnelles son paroxysme. Qui est qui ? L'ambigüité est de mise, augmentée par la parentées de voix entre elles de mezzos et contre-ténors, toutes dans le même ambitus.

Réussite aussi dans la musique de , qui use également de la distanciation. Les répétitions de syllabes font un jeu d'onomatopées, en intelligence avec le jeu scénique. Le traitement du texte est totalement libre, sans tomber dans le piège du récitatif debussyste (qui n'aurait aucun intérêt ici). Fini aussi le pastiche du Bestiaire et les références néoclassiques. Bien sur, on sent à l'audition plusieurs influences : Stravinsky, Ligeti, John Adams, Claude Vivier, Michaël Levinas (Les nègres, peut-être en raison du timbre si caractéristique de ), et même un peu de Moussorgski (les premières mesures de la scène du couronnement de Boris Godounov) dans le bref prélude. Mais le langage de se fait autonome, personnel, sans citations, dans la lignée de Pop-Art. Le compositeur, dans un récent entretien, se disait intéressé de poursuivre l'aventure lyrique. Espérons une suite rapide à ce premier essai.

Bien sur une création n'a pas de valeurs sans ses interprètes. De et son excellent au plateau de solistes, tous n'appellent que des éloges. Le mois de janvier 2009, riche en créations lyriques (ces Quatre jumelles à Nanterre puis en tournée en Ile-de-France, Yvonne princesse de Bourgogne bientôt à l'Opéra de Paris, …), commence bien.

Crédit photographique : © E. Bartolucci

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