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Le pays dont le noir est la couleur

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Apologie musicale de la Contre-Réforme, Les Vêpres de la Vierge de Monteverdi possèdent la qualité première de tout chef d'œuvre : une multiplicité de niveaux de lectures. Là où plusieurs musiciens y voient une théâtralisation de l'office catholique, et donc son humanisation, a choisi d'emmener ses troupes vers une vision plus austère, dans l'esprit de restriction et de contrition qui suivit le Concile de Trente. Une interprétation sobre et sombre, solennelle et austère, noire comme l'habit de l'Inquisition romaine et les tenues des musiciens de ce concert. Pourquoi pas ? Après tout le contexte de l'époque ne permettait aucun écart : Giordano Bruno venait d'être brûlé vif, Paul V, pape en place lors de l'édition des Vêpres (1610), menait une politique stricte qui a valu l'excommunication des dirigeants vénitiens, et Galilée allait être bientôt inquiété…

Malgré un ensemble instrumental important fait de violons, viola da braccio, cornets à bouquins et sacqueboutes, malgré un continuo riche, malgré un plateau bien en voix, ne sort pas de sa ligne directrice : en choisissant des tempos plutôt lents il gomme toutes les aspérités rythmiques de la partition et ne favorise pas l'éclat instrumental. L'ensemble ne perd pas en émotion, au contraire, mais devient, au gré des psaumes et concerti, uniforme. Se référant aux documents et témoignages de l'époque, Savall emploie le chœur avec parcimonie – à l'inverse par exemple de – se privant ainsi de tout effet de contraste, et donc de tout effet théâtral, considérant qu'il existe deux Monteverdi : celui de la scène, des opéras et des madrigaux, et celui de l'église, indépendamment des prima et secunda prattiche.

Cette austérité ne se brise qu'en fin de concert, avec l'Audi cœlum, pour le coup théâtral malgré lui avec son jeu textuel et ses effets d'écho, l'Ave maris stella, fait de versets entrecoupés de ritournelles issues de la danse, et le Magnificat final (celui à sept voix a été retenu), dont les dialogues vocaux ont incité les chanteurs à quitter leur attitude hiératique pour enfin communiquer entre eux.

Musicalement, on frôle l'exceptionnel sous cet habit noir. Manfedo Kraemer (violon), (cornet à bouquin), (flûtes), Antoine Ladrette (basse de violon) et Andrew Laurence-King (harpe) offrent dans leurs solos un contrepoint idéal à l'ensemble instrumental du Concert des Nations. Des solistes chanteurs réunis, on retiendra surtout David Sagatsume, Han-Jörg Mammel et le duo de basses et Sergio Foresti, tous habitués au style de Monteverdi. De longues ovations ont terminé ce concert presque ascétique, prolongé par un bis qui ne s'imposait pas : Da Pacem d'Arvo Pärt. La modernité reste résolument du coté de Monteverdi.

Crédit photographique : © DR

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