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C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit

Noirs, les décors. Sombres, les costumes. Opaques, les éclairages. D'Iphigénie en Tauride à cet Idomeneo, coproduit avec l'Opéra National de Bordeaux, ressert inlassablement sa scénographie faite de parois goudron, de colonnes coulissantes et d'escaliers couleur de jais.

Un univers abstrait censé symboliser «l'espace mental d'Idoménée», explique Carmelo Agnello dans le programme de salle…

Mais de véritable mise en scène et de réelle direction d'acteurs, nulle trace dans ce travail qui se contente de régler entrées et sorties et abandonne les chanteurs à eux-mêmes pour leurs longs airs solistes. Dans cette nuit d'encre crétoise, on entrevoit des caractères se croiser ou soliloquer sans qu'aucun geste marquant, aucune péripétie mémorable – l'irruption du monstre envoyé par Neptune est, à cet égard, d'une insigne inexistence – ne vienne relancer l'intérêt ou simplement expliciter l'intrigue. L'idée de l'œil omniprésent de Neptune, figuré par un cadre de scène en forme d'iris et une pupille qui troue le fond du décor, est vite épuisée et le défilé du chœur vaguement chorégraphié au final frise le ridicule. Pour une œuvre qui se rattache encore aux codes et aux divines longueurs de l'opera seria, c'est l'enterrement de première classe assuré !

Le drame et les passions parviennent heureusement à se frayer un chemin grâce aux chanteurs. Plutôt retenu de jeu, fait passer dans les inflexions et irisations de sa voix toutes les affres d'Idomeneo, rôle délicat qu'il domine du grave à l'aigu, y compris dans un «Fuor del mar» donné en version longue, où il se joue des difficiles ornementations vocales. Très belle aussi, l'Ilia de émeut de sa voix limpide et souple, à l'aigu bien timbré et sûr ; son dialogue avec les entrelacs des bois de «Se il padre perdei» est un pur moment de grâce. Mais celle qui emporte tous les suffrages, c'est la torrentielle Elettra de Marina Rebeka, à la puissance presque surdimensionnée pour le petit écrin de l'Opéra National de Lorraine. Acérée, volcanique, habitée, capable cependant de legato pour «Idol mio», elle culmine évidemment en dardant un «D'Oreste, d'Aiace» électrisant. Une chanteuse dont on devrait entendre reparler très rapidement.

Le ténor , peu tranchant avec sa diction mâchée et ses aigus fortement et uniformément mixés, nous a moins convaincu en Idamante. Lors de la création de l'œuvre à Munich en 1781, le rôle d'Idamante était écrit pour le castrat Del Prato ; les versions actuelles y distribuent le plus souvent des mezzo-sopranos. Mais Mozart, dans son souci de véracité dramatique, n'était pas satisfait de ce choix imposé par la commande du Prince-Electeur de Bavière. Dès 1786, pour une version de concert à Vienne, il transpose le rôle pour ténor, lui réécrit un duo et un air mais n'a hélas pas le temps de reprendre, comme il le souhaitait, le rôle d'Idomeneo pour une voix plus grave (baryton ou basse). Du coup, cette version avec une pléthore de voix masculines aigues – seule la courte intervention de l'oracle revient à une voix de basse – en paraît déséquilibrée ; c'est particulièrement net dans le trio du second acte «Pria di partir» où les voix d'Idamante et d'Idomeneo n'offrent plus de contraste satisfaisant. Et puis, quitte à donner la version de Vienne, pourquoi comme ici supprimer l'Intermezzo choral qui lie les deux premiers actes ? Pourquoi ne pas utiliser la version réécrite pour ténor «Spiegarti non poss'io» du duetto Ilia-Idamante ? Et surtout pourquoi ne pas confier à ce dernier son merveilleux Rondo «Non temer amato bene», écrit expressément pour la version ténor, en lieu et place du premier air d'Arbace où le modeste Jesus Garcia ne brille pas particulièrement ?

Peu favorisé par le metteur en scène, le chœur chante le plus souvent en coulisses. Difficile dans ses conditions d'y porter une appréciation mais il nous est paru suffisamment homogène et enthousiaste. dirige «large», marque les rythmes, ménage l'équilibre des pupitres (très belles interventions de bois notamment), obtient des cordes, pas toujours idéalement homogènes, une articulation soignée. Un travail pensé et un résultat très satisfaisant. Notre seule réserve portera sur le caractère par trop envahissant du continuo, au clavecin agressif et ferraillant.

L'enthousiasme modéré d'un public assoupi à l'issue de ce spectacle nous semble imputable surtout au statisme de la mise en scène. Pourtant, grâce aux personnalités des interprètes et à l'animation de la direction, l'Idoménée nancéien parvient à vivre et à se faire théâtre.

Crédit photographique : Marina Rebeka (Elettra) ; (Idomeneo) © Opéra National de Lorraine

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