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Le Dernier Jour d’un Condamné des frères Alagna, moment exceptionnel

On a beaucoup gaussé les frères Alagna, leurs spectacles, les enregistrements du plus célèbre d'entre eux, le ténor .

Allusions douteuses sur leurs origines et slogans les plus misérables ont alimenté les gazettes. Pour faire taire les ragots, ils ont trouvé en eux-mêmes une arme fatale : la qualité. Celle du ténor français n'est plus à prouver même si ses aventures milanaises ont défrayé la chronique. Il n'est actuellement aucun ténor qui chante notre langue mieux que lui. Que les «pipolophobes» rengaînent leurs piques parce qu'avec Le Dernier Jour d'un Condamné, cet opéra en deux actes et un intermezzo, les frères franco-siciliens ont réalisé une œuvre forte autant musicalement que poétiquement. S'inspirant d'un texte de Victor Hugo, et animés par l'actualité douloureuse des tous les privés de liberté, ceux de Guantanamo comme les autres, les trois frères élaborent un livret qui se penche avec humanité sur ce problème.

Musicalement, la composition de n'est pas du genre à bousculer nos oreilles. Sans s'abreuver dans la mièvrerie du néo-classicisme, sa musique reste proche des compositeurs de la fin du XIXe siècle, et la dédicace de «à l'audace de Modest Moussorgski» n'est pas étrangère à sa musique. D'une construction traditionnelle, avec une ouverture, un chœur, etc, la musique composée par respecte les canons de l'opéra. L'enregistrement du Théâtre des Champs-Elysées révèle une musique aux lignes mélodiques et harmoniques qui, si elle n'en possède pas la brillance, n'est pas sans rappeler celle d'un Leonard Bernstein. Cuivres et percussions sont souvent mis à contribution pour signifier les réalités tragiques de l'ultime journée de vie des condamnés alors que les cordes et les bois créent les climats de réflexion mystiques des mêmes suppliciés.

L'extrême richesse des orchestrations offre néanmoins un admirable tapis musical à l'écriture vocale. En dessinant par quelques éclats de dissonances les ambiances lancinantes qui assaillent le condamné à mort face au supplice qui l'attend, David Alagna sait livrer un lyrisme profond pour illustrer le retour sur soi, la prière, la réflexion sur l'existence qui envahit bientôt l'esprit du détenu. Bien sûr, le compositeur a écrit son œuvre pour la voix de son frère. Jamais pris en défaut, y est totalement à l'aise. Il peut y laisser éclater des aigus admirablement maîtrisés. Avec son impeccable diction française, pas un mot n'échappe à la compréhension de l'auditeur. Dommage qu'on ne puisse en dire autant de (La Condamnée) qui, si elle reste vocalement brillante ne domine pas la prosodie française aussi clairement que son interlocuteur. Admirable prestation de qui colore sa voix pour incarner les cinq personnages différents qu'il chante.

Malgré l'excellence de la direction d'orchestre de , cet album est resté étrangement ignoré de la critique. Une absence que votre magazine musical se veut de réparer avec les honneurs qui lui sont dus : ceux que l'on réserve aux moments exceptionnels de la musique.

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