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Musique et Mémoire 2009 : la journée de toutes les rencontres

Depuis déjà quinze ans, le Festival Musique et Mémoire cherche à repousser les limites esthétiques de la musique baroque pour renouveler son énergie et son audace créatrice. En ce samedi 18 juillet, ce renouvellement est le fruit de toutes les rencontres : en plus de celle, attendue, du public avec des interprètes d'exceptions, les concerts restituent en musique les échanges artistiques qui ont influencés les compositeurs de l'Europe baroque et enrichis leur musique.

«La Rencontre de Paris», est celle des deux clavecinistes Johann Jacob Froberger et en 1652. Ce premier concert de la journée est donné au Temple d'Héricourt, ville où mourut Johann Jacob Froberger. Avant d'assister au concert, une visite de la ville est proposée aux festivaliers : tout en valorisant le patrimoine de la ville, la visite permet de comprendre davantage Froberger et sa musique. À l'époque où le claveciniste et organiste à la Cour de Wurtemberg s'y installe, vers 1663, Héricourt est une ville militarisée et hautement stratégique : située à la jonction de la Bourgogne et la France, elle est rattaché depuis XIe siècle au duché de Wurtemberg. Dans le contexte d'instabilité créé par la guerre de Trente Ans, il est aisé d'imaginer les questions identitaires et religieuses qui le traversent. Catholique minoritaire sur une terre protestante, ces conflits intérieurs semblent marquer sa musique, dont l'expressive mélancolie, et la haute virtuosité, lui donnaient la réputation d'être presque ininterprétable selon ses contemporains.

De fait, l'émotion était palpable dans le Temple d'Héricourt, devant les prestations de et du récitant, . Les textes, écrits par en 2002, présentent les deux clavecinistes et amis comme les «deux versants d'une même douleur», qui, à leur manière, perçoivent et transcrivent le monde instable qui les entoure. Sur le clavecin français David Boinnard de 1691, les nuances sonores, douces et précises, sont un ravissement. Les textes illustrent et donnent du poids à chaque pièce. Le programme s'ouvre par la Toccata I de Froberger, et , dans une interprétation pleine de caractère et de sensibilité, laisse entrevoir les drames du musicien. Puis l'objectif se porte sur l'autre protagoniste, . Dans le Prélude à l'imitation de Mr. Froberger, l'ornementation est riche et raffinée, le jeu est aérien, tour à tour affirmé dans la Sarabande, théâtral dans la Piémontoise. , le clerc, «terrien et serein», opte pour des Préludes non mesurés protéiformes. Froberger, luthérien converti au catholicisme, à la personnalité «lunaire et nomade», préfère des tempi mesurés mais dont il se dégage une certaine instabilité et mélancolie. Tous les deux ont en commun le talent et la passion de la musique. À tous points de vue, cette Rencontre de Paris fut un moment magique : le charme de la sonorité du clavecin, la performance des interprètes, ainsi que la construction et la cohérence du programme, a su remporter les suffrages de l'ensemble de l'auditoire.

Direction Belfort et le Temple Saint-Jean, autour d'un orgue qui a été construit par Marc Garnier en 1984, à la demande de . Élaboré spécialement dans le but d'obtenir une sonorité proche de celle des instruments du nord de l'Allemagne au XVIIe siècle, cet orgue de style nordique vient enrichir et compléter le patrimoine existant à Belfort. L'orgue est construit sur trois plans sonores. Il comporte 24 jeux répartis sur grand orgue, un positif de dos et une pédale, laquelle est située dans deux tourelles latérales à l'image des instruments nordiques. L'orgue est doté d'un tremblant et d'un Zimbelstern (carillon de 8 clochettes). Les sommiers sont construits selon une technique employée aux XVIe et XVIIe siècles. Ils sont dits « à ressorts ». Le diapason est au la = 467 Hz. Le tempérament choisi est de type mésotonique modifié à deux tierces pures. Ce système d'accord permet l'emploi de nombreuses tonalités, tout en assurant une couleur caractéristique.

Jean Charles Ablitzer, organiste associé du Festival, et racontent ce que l'Histoire de la musique ne nous dit pas des influences qu'ont exercées entre eux les plus grands virtuoses de l'orgue : ou à Gröningen, et Jean Sébastien Bach, lors de la rencontre de Lübeck. La première partie du concert est celle de la rencontre de Gröningen, ou plutôt de l'orgue de 59 jeux, symbole de la démesure de la puissance princière, qui sera inauguré à la chapelle du château par les organistes les plus célèbres d'Allemagne. Les textes dits par nous transportent en ces lieux et , par son jeu, devient à lui seul chacun des organistes qui ont pu approcher l'instrument. Il y a d'abord venu du Nord de l'Allemagne, au style imposant. Puis , dont le jeu, influencé par un style italien, gagne en légèreté par une utilisation moins fréquente de la pédale. Enfin, Michel Praetorius, l'un des plus jeunes à essayer l'orgue, impose un style propre à l'Allemagne centrale, dans un discours que nous plus intériorisé que les précédents. Le mélange des différents styles allemands, l'influence du style vénitien autour d'un des plus beaux orgues du monde, voilà de quoi renouveler un répertoire, apprécié, au regard du nombre de spectateurs présents au Temple, un public de plus en plus large.

Le programme gagne encore en intensité émotionnelle avec la rencontre de Lübeck, celle du jeune Bach, alors organiste à Arnstadt, qui décide de parfaire sa formation et développer ses connaissances en parcourant 400 kilomètres à pied à pied jusque chez le grand maître, à la réputation confirmée dans toute l'Europe du Nord. La rencontre est providentielle, puisque Buxtehude rendit l'âme deux ans plus tard. La grande solennité du concert, la richesse des contrepoints stupéfie, la grande expressivité de jeu de met en valeur chaque enchaînement, superposition des jeux et richesse des effets. Après la rencontre du grand maître, la musique de Bach est comme transfigurée. Les Chorals sont de purs joyaux, laissant place à l'improvisation, pour favoriser l'essor de la pensée, du discours qui parle de Dieu et des hommes, la complexité de l'ornementation. Bach, par cette rencontre, hérite, en plus d'un métier, d'une conception du monde.

Crédit photographique : © Festival Musique et Mémoire 2009

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