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Un grand Wozzeck en concert par Salonen

L'affiche était attrayante, voire même très attendue, mais il faut croire que ça n'a pas suffit pour remplir entièrement un Théâtre des Champs-Élysées honorablement garni, sans plus. Pourtant nous avions avec le Wozzeck d' un des plus importants chefs-d'œuvre du début du vingtième siècle, dans une distribution qui ne manquait pas d'atout.

Peut-être l'absence de mise en scène et la programmation un lundi soir, jour traditionnellement peu favorable, a retenu chez eux certains mélomanes qui en d'autres circonstances auraient sans doute fait le déplacement.

On ne nie pas que l'absence de mise en scène, pour une œuvre autant théâtrale que musicale comme Wozzeck, peut être frustrante, mais elle a au moins l'avantage de concentrer l'attention du spectateur sur la musique de Berg sans risquer de se laisser distraire par une scénographie dont on sait à quelle point certaines peuvent être perturbantes. Ainsi donc la direction de Salonen et la prestation du Philharmonia étaient en première ligne et avouons que l'orchestre nous a mieux convaincu ce soir que lors du concert de mars dernier dans La nuit transfigurée et La Symphonie lyrique. On y a senti une plus grande concentration, une attention plus soutenue, une cohésion des pupitres plus assurée, une pâte orchestrale plus expressive. De son côté le chef s'est montré bien inspiré dans ses choix de tempo, assez remarquable dans les équilibres de timbres, très précis dans sa conduite du discours. Mais finalement plus symphonique et musique pure, que dramatique et théâtral. Car c'est dans l'animation et la pulsation interne de la phrase et des transitions, dans les changements de rythmes, ce soir trop parcimonieux, que Salonen aurait pu nous combler mais il n'a pu se départir d'une certaine réserve expressive qui a donné à cette musique moins de relief que sous d'autres baguettes. Ainsi certaines scènes n'avaient pas toute la force dramatique qu'elles portent en elle, comme la scène 1 de l'acte II, scène pivot de toute l'œuvre, prémonition du drame à venir, interprétée un peu platement, comme le sera, toute proportion gardée, la scène du meurtre de Marie. De même certains interludes orchestraux auraient pu être un poil plus vivants, mais reconnaissons que la progression des ces interludes étaient parfaitement bien vue culminant dans les très réussis deux derniers épilogues orchestraux.

La distribution était dominée, comme on pouvait s'y attendre, par le Wozzeck de qui, malgré l'absence de mise en scène, donna la sensation que son personnage était physiquement présent sur scène, avec toutes ses contradictions, ses fêlures, sa fragilité et sa violence, à la fois bourreau et victime. Tout en finesse et intelligence de jeu, il était simplement Wozzeck, musicalement irréprochable, portant, presque à lui tout seul, l'émotion contenue dans cette œuvre. Car Marie, l'autre personnage sensé nous émouvoir, était interprétée par une un peu trop binaire vocalement et expressivement, pour emporter totalement l'adhésion. En dessous d'une certaine frontière (tessiture et volume sonore) sa voix semblait en délicatesse, et sitôt passée au dessus, elle retrouvait sa plénitude un peu wagnérienne mais aussi un peu monotone, l'empêchant de nous donner toute la richesse du personnage de Marie.

Les autres rôles, plus caricaturaux, à la complexité expressive bien moindre, furent également variés. On notera côté réussite de duo Capitaine Docteur de (beau succès à l'applaudimètre) et , vocalement en forme et expressivement convaincants. Hubert Francis incarna un Tambour-major assez classique, bien fait sans plus. La relative déception vint du Andres passe partout de mais surtout de la Margret d'Anne Burford, pas assez en voix, et un peu hors sujet. Les «petits» rôles des deux compagnons et du fou étaient fort bien tenus, participant, au même titre que le chœur de Radio France, à la réussite de scènes de l'auberge et de la taverne.

Certes on peut sans doute faire encore mieux, mais ce Wozzeck était quand même de haut niveau, et permit d'entendre une fort belle et intéressante interprétation de cette œuvre magnifique, méritant bien les applaudissements chaleureux du public disant aux absents qu'ils avaient bien tort.

Crédit photographique : © Nicho Södling

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