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Délectable douleur par Les Passions

Passionné par ce compositeur qui a su allier la verve mélodique italienne au sérieux de l'harmonie française à la fin du XVIIe siècle, poursuit avec son orchestre le triptyque consacré à , qu'il avait entamé l'an dernier avec un mémorable Requiem. À la veille d'enregistrer ce programme, ce concert proposait un motet de circonstance «Diligam te Domine» avec les trois premières lamentations pour le mercredi, le jeudi et le vendredi saint.

Dans la plus pure forme versaillaise, le motet «Diligam te Domine» fut composé à Toulouse et interprété dans cette même cathédrale en 1701 à l'occasion de la visite des ducs de Bourgogne et de Berry, tandis que Gilles officiait comme maître de chapelle à Saint-Étienne. Cette pièce brillante qui affirme la solidité de la foi du chrétien face aux tourments de l'enfer, présente plusieurs configurations vocales de une à plusieurs voix, alternant petit et grand chœur dans une polyphonie complexe et une orchestration somptueuse. La direction très précise et toute de souplesse de souligne les contrastes tout en se défiant des pièges acoustiques du complexe vaisseau toulousain à deux nefs superposées. Une judicieuse installation assortie de pendrillons contre le pilier central, a permis de maintenir la plénitude et richesse du son de l'orchestre, avec le chœur placé derrière et les solistes à l'avant afin de compenser l'émission sonore moindre requise par le chant sacré baroque. Ils étaient toutefois à la peine dans un tel volume où les voix tournoient facilement.

Afin de rendre justice à ces œuvres superbes, l'orchestre des Passions était particulièrement étoffé ce soir-là. Les cordes généreuses (violons, hautes-contre de violon, tailles de violon, basses de violon et contrebasse) étaient doublées de bois (basson et serpent), tandis que deux flûtes soutenaient les dessus. Cela donnait une coloration très française, qui s'associait parfaitement à la prononciation gallicane du latin liturgique. Le caractère plus grave et ample des lamentations permettait de mieux apprécier la finesse des voix, ainsi que l'opulence de l'orchestre avec de superbes modulations et des tempi assez vifs.

On sait qu'au XVIIe siècle, les opéras étaient fermés pendant la semaine sainte et ces offices dits «leçons de ténèbres» s'étaient peu à peu transformés en concerts où l'on venait écouter les belles voix du moment, puis en réunions mondaines… D'ailleurs, Gilles qui a composé ces lamentations dans sa première période d'activité à Aix-en-Provence, alors qu'il avait 24 ans, s'est affranchi du modèle intimiste du genre pour utiliser la forme du grand motet. Un cas unique dans la musique française de l'époque selon , qui s'est scrupuleusement penché sur plusieurs sources.

La plainte du prophète Jérémie sur la chute de Jérusalem est destinée à faire revenir le peuple pêcheur vers son Dieu, mais la somptuosité orchestrale et vocale de Gilles dépasse le ton doloriste pour atteindre une sorte de plaisir très baroque. La contrition ne doit pas se faire sans plaisir, surtout celui de l'oreille… Les mélismes sur les lettres hébraïques sont de purs moments de bonheur, qui nous éloignent de Port Royal.

Le discours se tend et se densifie vers plus de dramatisme selon la proximité du Golgotha. On compte 5 versets pour la première lamentation du mercredi soir, 4 pour celle du jeudi et 3 seulement pour celle du vendredi, tandis que l'on éteint une bougie à l'issue de chaque lamentation, pour finir dans les ténèbres où l'on entonnait un miserere.

Très présent dans la partition, le chœur de fait merveille selon une grande précision pour chacune de ses interventions. Appréciant comme souvent le timbre chaleureux d', on goûte la finesse de la taille , ainsi que la déclamation précise d'. Mais notre admiration se porte sur la magnifique prestation du haute-contre . Il maîtrise parfaitement ce timbre si français de ténor aigu, ne négligeant pas les diminutions ou variations en fin de phrase.

Sous la direction souple et allante de Jean-Marc Andrieu, l'orchestre des Passions, particulièrement fourni est au mieux de sa forme.

On attendra avec impatience (pour le printemps prochain ?), le disque de ce programme chez Ligia Digital, qui devrait succéder avantageusement à l'unique enregistrement (épuisé) d' et son Concert Spirituel (Adda), datant d'une vingtaine d'années déjà.

Le prochain volet révélera en 2010 le Te Deum et le motet «Beatus quem elegisti».

Crédit photographique : © Alain Huc de Vaubert

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