Et de trois ! Trois Rake's Progress en deux ans, on atteindrait presque la surdose à Paris de cet opéra d'Igor Stravinsky, qui connaît des derniers temps un regain de mode : Bruxelles (production reprise à Lyon et San Franciso et immortalisée en DVD) et Angers-Nantes-Opéras.
A l'Athénée nous sommes loin de vision traditionnelle d'André Engel au Théâtre des Champs-Elysées ou de la provocation d'Olivier Py à Garnier. Antoine Gindt et Franck Ollu prônent l'épure : décors et orchestres réduits au minimum, costumes simples, peu de déplacements sur scène, tout étant suggéré par le geste et l'accessoire. Dans cet ascétisme, Nick Shadow n'est plus un diable, mais l'âme damnée de Tom Rakewell ; Baba the Turk n'a plus de barbe mais est une caricature d'un quelconque personnage people. Se référant directement aux gravures d'Hogarth (toujours visibles au Sir John Sloane Museum de Londres), Antoine Gindt superpose aux tableaux vivants de la mise en scène les illustrations naïves projetées sur grand écran de Gérard Ségard. Le résultat aurait pu engendre de la monotonie dans cet univers en noir et blanc si le plateau n'était pas exceptionnel.
Les quatre premiers rôles, Elizabeth Calleo, Allison Cook, Jonathan Boyd et Ivan Ludlow, emportent l'adhésion. Seul le dernier est régulièrement programmé en France (La Veuve joyeuse, Curlew River et A Midsummer Night's Dream, à Lyon). Dans l'ensemble les voix sont saines, sans défauts, avec de bonnes projections et un souci constant du legato et de la précision. L'engagement scénique est moindre, peut-être en raison du statisme de la mise en scène, dont seule s'en sort Allison Cook dans le double rôle de Mother Gosse / Baba the Turk. Laisson de coté Johannes Schmidt, peu convaincant en Trulove, et Paul-Alexandre Dubois, excellent acteur mais dont la voix de baryton ne correspond pas à la tessiture de Sellem, prévue pour… un ténor.
L'Orchestre des lauréats du Conservatoire de Paris, formation de jeunes professionnels, situé en fond de scène, se réduit au «minimum social» exigé, tout juste douze cordes, d'où de fâcheux déséquilibres sonores. Ce Stravinsky dégraissé perd ses ors néoclassiques, comme annonciateur de la période sérielle qui suit. Une lecture qui aurait pu se justifier (et surtout démentir André Boucourechliev, pour qui dans sa biographie du compositeur – chez Fayard – The Rake's Progress témoigne de l'essoufflement créateur) si l'orchestre n'avait été malmené par la direction trop brutale de Franck Ollu. Le chef pousse l'épure si loin, gommant toute l'ironie propre à l'œuvre, au point de sabrer la partition de près de vingt minutes. Est-ce si utile ? Presque toutes les références à l'opéra traditionnel, de la fanfare d'ouverture à la morale finale, ainsi que de nombreux récitatifs, ont disparu… Sans que le besoin s'en fasse réellement ressentir.