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Jordi Savall, celui qui a cru en la force spirituelle de la musique

C'est un bonheur sans cesse renouvelé que d'entendre le Saint François Xavier, mené avec toujours autant de ferveur et de brio par et l'ensemble . Le programme, qui retrace en musique le parcours du missionnaire navarrais vers l'Orient, ne peut que marquer nos esprits contemporains : quelle est cette force qui pousse un homme à tout quitter, à ne se soucier que d'autrui et de on salut, à croire en l'amour fraternel malgré les obstacles innombrables qui surgissent, en n'ayant parfois que les chants sacrés pour seul moyen de communication avec les peuples qu'il rencontre ? Le sens de cet amour absolu, évidemment, se révèle de manière plus flagrante une fois mis en musique, et, dans le prolongement du Saint missionnaire, réalise sous nos yeux le rêve fou de faire de la musique un lieu d'harmonie et de paix entre les peuples.

Le concert tant attendu s'ouvre sur le premier tableau «Ad Processionem», célébrant la vie de François Xavier : le jeu joyeux et enlevé de la flûte répond à la délicatesse de la viole de gambe, et ne retirent rien à la solennité de l'instant. L'attention réciproque que se portent musiciens et chanteurs est toujours remarquable. La joie fait place au recueillement devant l'hymne marial «O Gloriosa domina», chant religieux médiéval qui devint populaire chez les compositeurs espagnols. Il sera le thème qui unira l'ensemble du programme. L'émotion se répand lorsque, de l'autre côté de la salle de concert, le shinobue (flûte japonaise) répond aux voix de la Capella Reial. Hiroyuki Koinuma s'avance et rejoint les autres musiciens tout en jouant un Banshô, air traditionnel : la musique, aérienne, semble avoir été composée par la Création elle-même. La perte de repères musicaux que ressent l'auditeur occidental, de prime abord, ne fait que souligner l'instant magique de la rencontre du Saint avec l'Orient. Le passage du missionnaire par Goa est illustré par le sublime Senhora del mundo, chanté avec beaucoup d'émotion et d'intensité par , accompagnée de Ken Zuckerman au sarod et de Pradhu Edouard aux tablas : le trio emmène l'imaginaire de l'auditeur très loin. L'arrangement est somptueux, et la fougue enivrante des percussions inspire le feu du zèle apostolique. L'impression était telle qu'elle a réussi à faire arrêter de tousser certains spectateurs agaçants d'irrespect.

La rencontre entre les deux mondes engendre naturellement le rapprochement et la découverte de l'autre. Dans la partie «Invocationem», le thème marial, initié par les voix sombres et recueillies de la Capella Reial, est repris en improvisations avec les instruments indiens et japonais : le dialogue musical et culturel s'instaure ; qui aurait cru que des instruments aussi différents que le biwa, la viole de gambe, le sarod ou le psaltérion allaient s'harmoniser autour de cet hymne, tout en sachant garder leur individualité, qui en ressort grandie dans la re-création improvisatrice de l'air médiéval? Le programme se poursuit par les chants catalans aux rythmes enlevés de Soletai Verge estich et Tau garço la durundena, valorisant toute l'expressivité théâtrale des chanteurs. Le dernier tableau est une reprise du Chant de la Sibylle, sombre et inquiétant, sur le Jugement dernier. Mais l'ensemble a offert en guise de bis, un émouvant Ave Maria chinois, où Occident et Orient chantent et jouent à l'unisson, comme pour rendre un dernier hommage à celui qui rendit son âme à Dieu avant d'arriver en Chine. «C'est en donnant que l'on reçoit, c'est en s'oubliant qu'on trouve […] c'est en mourant que l'on ressuscite à l'éternelle vie», disait Saint François d'Assise. N'oublions pas de saluer le récitant , qui, par la lecture en espagnol des lettres de Saint François Xavier, nous a éclairé davantage sur la compréhension du personnage.

Il y aurait encore mille autres choses à évoquer, mais pour faire simple, le concert de ce dimanche était bien plus qu'un concert. C'était la réalisation d'une utopie musicale et culturelle, un hommage à un homme de foi et de passion hors du commun, qui nous exhorte encore à aller au-delà de nous-mêmes et jusqu'au bout des Chemins que Dieu nous a tracés.

Crédit photographique : © Hans Speekenbrink

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