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Rigoletto à Dijon, bouffon tragique

C'est avec l'opéra le plus cruel de Verdi qu' se manifeste pour la seconde fois sur la scène dijonnaise cette saison (après avoir présenté cette production à Lille) : au diable les références historiques à la ville de Mantoue au XVIe siècles, on place l'action dans une station balnéaire à la mode dans les années 30.

Le public est de la sort incité à penser que les thèmes abordés par le compositeur sont éternels, comme le donjuanisme du duc, la complexité de Rigoletto, tantôt abject suppôt de son maître, tantôt sublime dans son amour pour sa fille, ou l'émancipation progressive de celle-ci.

Il est devenu habituel, et on peut le regretter, de trouver un décor qui puisse s'adapter aux différents actes grâce à des modules que l'on ajoute ou que l'on enlève : des guérites de plage servent ici de fond de scène et des maisonnettes mobiles de tailles différentes deviennent la maison de Gilda et la masure de Sparafucile ; pourquoi pas ? Cependant le début du second acte a paru poser problème dans cette option : que font donc les courtisans endormis en tas sur cette «plage» ? Mais dans l'ensemble l'harmonie des couleurs entre décor et costumes est assez plaisante et les atmosphères nocturnes sont bien rendues par des éclairages appropriés.

Le chef d'orchestre a déjà une longue expérience du répertoire lyrique italien, tout particulièrement de celui de Verdi. Ici il donne vie à la partition en insistant sur les ralentis et les accélérations de l'action. Il utilise les silences à bon escient pour accentuer l'effet dramatique et sait faire comprendre à l'orchestre son sens du phrasé, que les vents mettent vraiment bien en valeur. On remarque deux beaux soli de violoncelle et contrebasse, mais il semble que les violons ne soient pas toujours assez nombreux pour produire la pâte sonore nécessaire. Quant au chœur d'hommes, il s'affirme avec conviction dans les interventions des courtisans, comme dans le chœur bouffon «Zitti, zitti».

possède à l'évidence la voix qui convient au rôle du duc, avec des aigus brillants, une réelle nervosité d'articulation et beaucoup de puissance ; l'air fétiche «La donna e mobile» lui a valu des applaudissements nourris. Il semble cependant moins à l'aise dans les dialogues, durant lesquels son jeu est un peu plus convenu. La soprano américaine fait merveille dans le rôle de Gilda. La pureté et la souplesse de sa voix conviennent à ce rôle délicat qui va de l'expression de l'innocence à celle du sacrifice de la femme. Cependant on ne voit pas pourquoi la mise en scène l'oblige à se rouler par terre après son air fort réussi «Caro nome» ; sans doute est-ce là le signe de la découverte d'une sensuelle félinité… établit fort justement un parallèle entre le rôle de Carmen et celui de Maddalena : sa voix chaude répond avec justesse aux avances du duc.

réussit à assumer le rôle titre sans forcer le trait ; il donne ainsi à son personnage une humanité touchante. Il n'a pas la voix tonitruante de Monterone, mais il sait la moduler suivant les sentiments demandés par la musique. Le deuxième acte est son acte, celui où il s'impose, passant dans l'instant de la ruse à la veulerie, de la colère à l'accablement, de l'imploration à l'ivresse de la vengeance ; il réussit même à rendre crédible l'air héroïque «Si, vendetta».

Ce spectacle homogène peut paraître manquer de flamboyance, mais il nous offre une vision fort convaincante du drame, sans doute assez conforme aux intentions du compositeur.

Crédit photographique : © Frédéric Iovino / Opéra de Lille

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