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Gergiev passe Noces de Stravinsky au rouleau-compresseur

Attention choc ! Oreilles sensibles, éloignez-vous de ces Noces de Stravinsky dirigées sabre au clair par .

Tempos délirants, dynamiques extrêmes, percussions surexposées, pianos déchaînés, l'œuvre, qui ferme radicalement la «période russe» de Stravinsky, agit en véritable rouleau compresseur. Tableau vivant d'un mariage (duquel est exclu la cérémonie) populaire russe commandé par Diaghilev (à qui la partition est dédiée) et chorégraphié par , Noces est basée sur des mélodies populaires recueillies de Piotr Kireyevski au XIXe siècle en Russie, Bielorussie et Ukraine. L'œuvre en elle-même surprend par ses quatre pianos et ses dix percussions, son chœur littéralement instrumental et ses passages solistes, qui ne représentent aucun personnage en particulier. Vu par , on plonge dans les racines ancestrales d'une fête païenne et cruelle. La mariée qui au début pleure la perte de ses tresses (par tradition, les cheveux de la mariée sont coupés et ceux du marié imbibés d'alcool) hurle plus qu'elle ne gémit («Kosal moïa, kosinka rusaïa») : la perte de la chevelure est aussi celle de sa virginité. Partant de ce postulat, enchaîne les vingt et quelques minutes suivantes à toute berzingue, faisant de cette version la plus rapide de toute la discographie ! Toutefois, contrairement au disque Rachmnaninov précédent, cette vitesse n'entraîne pas la précipitation. Polyphonie et polyrythmie restent étonnamment lisibles, le tempo est immuable (croche = croche malgré les nombreux changements de mesure), l'expression vocale n'est pas bridée, bien au contraire. Une version radicale, sauvage, barbare, à l'opposé de celle – tout autant remarquable – de Daniel Reuss avec le RIAS-Kammerchor (Harmonia Mundi). Autant Reuss privilégie la souplesse et la ligne mélodique, autant Gergiev accentue les arrêtes rythmiques et surtout resitue les sonorités de percussions sur la langue russe (il suffit d'écouter les caisses claires sur la première intervention du chœur «Tchesu, potchesu nastazinu kasu» pour s'en convaincre). Nous sommes en présence d'une lecture qui devance de loin les versions Eötvös (Hungaroton), Ancerl (Supraphon) ou Ashkenazy (Decca).

En complément, Œdipus-Rex, l'opéra-oratorio sur un texte de Cocteau traduit en latin par Jean Daniélou. Autant Diaghilev adorait Noces, autant il détestait cet Œdipus-Rex. Appartenant à la période néoclassique de Stravinsky, faisant ouvertement référence à Haendel, Œdipus-Rex tranche par son hiératisme et sa solennité face à Noces. Valery Gergiev semble y être plus calme – et pour cause, servant l'œuvre avec une rutilance chorale et orchestrale rarement égalée. prête son emphase aux courtes interventions du récitant, le plateau vocal est de haute volée, dominé par l'Œdipe de , la Jocaste d' et le Créon d'. Les hommes du chœur du Mariinsky (Œdipus-Rex ne convoque que ténors et basses) forment une masse chorale homogène. Une fois n'est pas coutume, l'orchestre ne hurle pas et ne rue pas dans les brancards. C'est grandiose et distancié à la fois. Une version qui se hisse aux sommets d'une discographie pourtant étoffée et qui rivalise sans peine avec les lectures de Bernstein (Sony), Esa-Pekka Salonen (Sony), Ferenc Fricsay (DG) ou Colin Davis (Orfeo).

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