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Une Flûte enchantée magique, féerique et authentique par René Jacobs

Le sixième des opéras de Mozart enregistrés par pour Harmonia Mundi (après Idomeneo, La clemenza et les trois Da Ponte), cette nouvelle version de La Flûte enchantée va vraisemblablement constituer, autant pour son authenticité historique que pour son iconoclasme fondamental, une solide référence dans les années à venir.

Elle est la preuve en tout cas qu'utilisés de telle manière les instruments d'époque font autorité, et que leur légitimité ne saurait être remise en cause.

Mais c'est vraisemblablement la manière dont Jacobs traite le dialogue parlé, donné ici dans sa quasi intégralité, qui constitue la plus grande originalité de cette version. Le texte de ce que Jacobs appelle dans la très riche plaquette de présentation un «Hörspiel», c'est-à-dire une pièce reposant sur un dialogue «acoustique» – comprendre destiné à l'écoute du CD… – et non «scénique», est en effet ponctué de divers bruitages fort réussis, mais aussi de nombreuses interventions instrumentales justifiées par les travaux les plus récents de la musicologie ; à cet égard, on lira avec le plus grand intérêt l'excellent texte de . C'est jusqu'au dialogue des différents personnages qui est donné dans une version «musicalisée», qui pourrait sans doute évoquer la manière chantante dont on jouait autrefois le théâtre parlé sur la scène viennoise. Le passionnant texte de l'égyptoloque allemand Jan Assmann, qui tente de résoudre ce qui est longtemps passé pour les incohérences du livret de Schikaneder et de sa structure, participe évidemment d'une telle relecture.

S'ils sont donnés avec autant de soin et d'intelligence, on se réjouit de (re)découvrir à l'avenir le très riche répertoire du Singspiel viennois, auquel les plus grands écrivains de leur époque, Gœthe en tête, n'avaient pas dédaigné de contribuer.

Ce travail de reconstitution historique affecte également la lecture musicale de la partition, donnée ici dans le plus grand souci d'historicité mais aussi d'expressivité. Les tempi sont radicalement renouvelés, les chanteurs imaginent de nouvelles cadences, l'orchestre s'enrichit des interventions perlées du piano-forte, omniprésent dans cette production. Quel bonheur de redécouvrir à chaque instant une partition que l'on croyait connaître par cœur !

Les chanteurs n'ont pas été choisis parmi les stars du moment, mais peut-être certains le deviendront-ils. Sans doute est-ce le cas de , charmant Tamino au timbre assez léger, qui rappellerait presque la voix de Ian Bostridge mais avec un peu plus de métal. , aux moyens assez modestes, est une Pamina en tout point exemplaire, particulièrement émouvante dans sa «scène de folie» au deuxième acte. En Reine de la nuit, Anna-Kristina Kaappola possède toutes les notes du rôle – et restituées de surcroît sur les voyelles initialement prévues par Mozart…– mais le timbre de cette chanteuse n'a pas le côté tranchant qui faisait d'Edda Moser ou d'Edita Gruberova les interprètes idéales de leur époque. De même, est un Sarastro digne et noble, qui possède toutes les notes graves de la partition, mais à la voix relativement légère par rapport à celle de ses prédécesseurs. Sans doute est-ce également le parti pris de Jacobs que de choisir, à l'image de ce qui fut à Vienne la création de La flûte, de valeureux troupiers et solides musiciens plutôt que les grandes vedettes du moment… Dans le même ordre d'idées, Sundae Im et sont particulièrement touchants en Papagena et Papageno, même si on aurait souhaité que l'accent viennois de ce dernier soit plus systématique et plus cohérent (à cet égard, on appréciera tout particulièrement les rôles parlés des trois esclaves «collègues» de Monostatos…). Parmi les rôles dits «secondaires» – mais ici, dans un tel contexte, il n'y en a pas… –, une mention spéciale pour les excellentes Dames de la nuit, preuve supplémentaire que tout dans ce magnifique coffret a été particulièrement pensé et soigné.

Bref, une réussite exceptionnelle qui devrait «enchanter» autant les «novices» que les «initiés» !

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