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Boris Godounov à Turin, l’odeur de la misère

Avec cette production de Boris Godounov, le cinéaste  revisite l'opéra de Moussorgski en lui donnant les odeurs de la misère du peuple russe.

Illustrant son propos, il habille ses masses pouilleuses de vêtements sales, rapiécés et souillés, peuple de gueux crasseux dans l'attente du sauveur : le tsar. Dans ses éclairages noirs, il soutient les ambiances grises du peuple, parfois illuminées des rouges sang du pouvoir, de la peur et de la torture. Respectueux de l'époque sans tomber dans la caricature, il peint des personnages pitoyables. Le peuple dans sa misère, Boris Godounov dans sa folie.

Pour éclairer leur propos, le metteur en scène russe et le chef d'orchestre ont imaginé reprendre la version originale de l'opéra de en y insérant la scène de la forêt de Kromy que Mussorgski ajouta dans sa version de 1872. Ainsi leur discours théâtral tourne principalement autour du peuple qui, découvrant le crime de Boris, plébiscite l'imposteur Grigori pour précipiter Boris vers sa chute et sa mort.

Dans sa mise en scène assez conventionnelle,  favorise un découpage cinématographique des scènes avec de fréquents tombé de rideau qui ont la fâcheuse tendance à ralentir l'action. Puis à chaque lever de rideau, la scène, vide d'accessoires, s'emplit de la masse des chœurs. Malheureusement, sur ce décor de planches inclinées, ces entrées sont bruyantes au point de couvrir la musique de la fosse. Des chœurs qui, malgré les tentatives de de les dynamiser, manquent souvent de l'articulation musicale et de l'énergie vocale qu'on attend de cet acteur prépondérant de l'intrigue.

Bien sûr, on attend aussi tout du rôle-titre. Le rôle mythique de l'opéra russe. Dans cet emploi, la basse bulgare délivre un chant d'une rare beauté. Un chant peut-être trop beau pour coller au personnage de ce tsar sanguinaire, mentalement dérangé et patron de toutes les Russie. Avec sa voix claire, peut-être encore trop verte, son Boris apparaît trop bon, trop gentil pour crédibiliser l'image de l'assassin qu'il est. Si dans son jeu de scène, joue admirablement l'halluciné, le fou en devenir, ses couleurs vocales restent trop en dedans du texte. Alors qu'il devrait susciter la toute puissance, la crainte, voir l'horreur du personnage, un certain manque d'audace vocale le cantonne dans un personnage quelque peu terne.

A ses côtés, le contraste est grand avec Varlaam, autre personnage clé de cet opéra. Laissé à l'explosif basse russe Vladimir Matorin (qui incarne le rôle-titre en alternance avec ), son indéniable aisance scénique, son emballement vocal l'amène vers une démesure rendant impossible sa canalisation musicale dans la rigueur de la partition et du chef d'orchestre. Malgré l'artiste total qu'il est et le talent avec lequel il dévoile la truculence de ce moine ivrogne, ses dangereux décalages avec l'orchestre sont autrement plus dérangeants à l'auditeur que sa théâtralité est bienvenue.

Quant à lui, Sergei Aleksaskin (Pimen) semble approcher son premier monologue avec une discrétion vocale excessive, lorsque, dans le tableau final, il apparaît en vieillard courbé par les ans, son récit est touchant d'humanité et s'avère comme l'un des moments parmi les plus émouvants de la soirée.

Dans les autres rôles, le ténor (Chouisky) s'emploie superbement à son rôle trouble de traître à Godounov. Excellent acteur, il convainc par la souplesse superbe de son chant. Quoique habitué du rôle qu'il a chanté à plusieurs reprises au Théâtre Mavrinski, le ténor Evgenei Akimov (L'Innocent) ne joue pas la facilité de l'habitude et reste impressionnant de justesse.

Dans la fosse, l'orchestre du Teatro Regio manque sensiblement de couleurs. La faute à une direction trop préoccupée par les problèmes du chœur et donc moins attentive au soin qu'elle aurait pu apporter à la palette musicale de l'orchestre.

Crédit photographique : Orlin Anastassov (Boris) © Ramella&Giannese

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