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L’unique opéra de Beethoven sur la promenade des Anglais

On se souvient que si Parsifal, donné en janvier dernier à Acropolis, avait été victime de choix incompréhensibles et insoutenables quant à sa mise en scène, la partition avait été remarquablement servie par l'orchestre dirigé avec conviction par Philippe Auguin.

C'est donc avec une certaine impatience que l'on attendait l'unique représentation de l'unique opéra – quoiqu'en version concert seulement – de Beethoven. On en fut que plus déçu ! Si l'on se doit de souligner l'harmonisation scénique d' et l'excellence de jeu et de l'âme avec laquelle les solistes sont entrés dans la démarche même du compositeur de Bonn, on ne peut qu'évoquer l'insuffisance d'à propos de l'interprétation musicale. Nous n'hésiterions pas à parler, à l'audition de cette soirée, d'une incompréhension de Beethoven. Ce dont ce dernier s'est du reste souvent plaint. Pourquoi en rester à cette conception si étriquée d'un Beethoven lourd, massif et anguleux, alors que toute la partition, notamment dans sa progression harmonique, suggère une puissance fragile, à l'image du bouillonnant Ludwig ? Accents renforcés, attaques martelées, fortissimi exagérés, n'ont eu pour effet que de ruiner l'intimité même de l'œuvre. La prière de Léonore ne parvenait plus à s'élever, tellement l'orchestre plombait la progression. L'hymne célébrant la puissance pourtant si frêle de Fidelio, devenu triomphe romain, dénatura totalement l'esprit même de la pièce, pourtant choisie avec tellement d'exigence par Beethoven. L'héroïsme d'une valeur difficile et tellement battue en brèche – déjà à l'époque – la fidélité de l'amour conjugal, devenait ainsi la gloire non du couple uni, mais de la femme seule. Comment comprendre ainsi l'opéra de Beethoven ? Comment alors que l'ensemble de ses contemporains célèbrent l'amour pré-conjugal, ne pas voir dans ce choix d'un amour de couple, la clef de l'héroïsme et par là-même sa délicate fragilité. Ce n'est pas pour rien que c'est la femme qui est l'actrice principale de cet héroïsme, et non l'homme, avec son habituelle lourdeur orgueilleuse. Dès lors, tonnerres et tremblements pouvaient se déchaîner, l'esprit n'y était pas ; l'œuvre du reste n'a pas atteint le but éducatif que Beethoven assigne à ses œuvres. Le public s'est laissé emporter par le fracas tonitruant, émouvoir à juste titre par la délicate et profonde , mais a-t-il reçu la profondeur du message que le compositeur, si avare d'opéra, souhaitait lui délivrer ?

Peut-être, car à l'inverse d'un orchestre poussé dans ses contreforts bruyants par un chef déchaîné, les solistes, malgré l'orchestre, et parfois fort loin de lui, ont eux, pleinement pénétré l'esprit du maître. L'unité tant attendue du couple fut rendue omniprésente et effective par l'intensité émotive de Léonore et Florestan, admirablement portée, comme un écrin, par Rocco. L'ensemble fut servi par des voix superbes, alliant puissance et délicatesse, sauf peut-être celle forcée du gouverneur. Il est réellement dommage que ces deux lignes d'interprétation – celle de l'orchestre et celle des solistes – ne se soient jamais rejointes, se livrant un duel, dont le public ne pouvait que sortir perdant, au milieu des cors dénaturés, des flûtes forcées à l'excès et un inévitable et fréquent décalage avec le chœur.

On souhaite à ces brillants solistes, si imprégnés de l'esprit du maître de Bonn, de redonner ensemble l'œuvre unique, portés par une phalange elle-même façonnée par les mains de Beethoven.

Crédit photographique : Philippe Auguin © D. Jaussein

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