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Bellérophon de Lully en création intégrale et mondiale

Les divers partenaires de cette production (Festival de Beaune, Cité de la musique et Centre de musique baroque de Versailles) annoncent que Bellérophon trouve ici sa création mondiale en sa version intégrale.

Contrairement à l'habitude, le tandem Lully – Quinault ne fut pas ici à l'œuvre : en 1677, en assistant à la première d'Isis, Louis XIV avait peu apprécié que le livret de Quinault fasse écho à ses amours extra-conjugales. Aussi, pour continuer de composer, Lully dût-il, à contrecœur, trouver une autre plume : Thomas Corneille, qu'assista le jeune Fontenelle (le neveu des frères Corneille). Certes Thomas Corneille ne fut jamais Quinault mais le dénigrer comme on le fait encore, est injuste : ce livret révèle une belle substance.

Après un prologue où les muses, Pan et Bacchus célèbrent «le plus grand des mortels» (Louis XIV, comme il se doit), l'intrigue propose une assez classique histoire de jalousie. Sa singularité réside dans le fait que le personnage principal est Sténobée, l'incarnation de la femme ravagée par la jalousie. Au point que Bellérophon ne célèbre ni un héros (le rôle-titre est, avant tout, agi par les évènements et finit fortuitement victorieux) ni la tenace ardeur de sa jeune amoureuse, mais incline vers un seul rôle, celui qui représente (au sens baroque du terme) un violent sentiment. À elle seule, Sténobée attire les attentions (des spectateurs), les énergies dramaturgiques (lorsqu'elle n'est pas sollicitée, l'intérêt fléchit) et même l'invention musicale. À elle seule, elle est un caractère si complexe que l'ouvrage gravite autour de cette jalousie qui la gangrène. À ses côtés, seule Philonoé, jeune et courageuse amoureuse, est touchante. Bref, cette tragédie lyrique (tout élément comique en est désormais banni) tient plus du roman baroque (un personnage principal relègue les autres en fond de décor) que de la tragédie cornélienne.

Assurément, Bellérophon est un de ces ardents portraits de femme, que, ultérieurement, Marin Marais et Élisabeth Jacquet de la Guerre, sauraient prolonger. La partition de Lully révèle de grandes beautés : des récits accompagnés de l'orchestre, une écriture orchestrale toute de plénitude et une ample écriture chorale. Sa première interprétation «moderne» est, assurément, un événement.

L'équipe musicale est à la hauteur de cet enjeu. Le plateau vocal est dominé par  : disposant d'un registre grave charnu, cette talentueuse soprano compose une magnifique figure de femme ; elle sait en rendre les complexes facettes, agissant plus par petites touches successives qu'elle ne les brosse à grands traits. Parmi les autres membres de cette distribution, on signalera , évidemment musicienne, même si, ça et là, demeurent de menues affèteries. On saluera la forte prestation qu'a proposée le  : homogène, bien timbré, très dynamique et offrant une élocution impeccable, il est, assurément, l'autre chœur belge, avec le Collegium vocale Gent. Comme il en a la si remarquable habitude, agit, non en ensemble, mais en véritable orchestre, au sens plein du terme. a livré une grande interprétation : cet ouvrage lyrique, que nous découvrions, est rendu avec un naturel si confondant qu'il est déjà un classique.

Crédit photographique : © DR

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