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Mariss Jansons, la grande classe

C'est désormais une bien bonne habitude que de retrouver le Bayerischen Rundfunk et son chef pour un concert de fin d'automne au Théâtre des Champs-Élysées. Etait-ce le temps plus qu'hivernal mais le public parisien avait laissé quelques places libres alors que le couple chef-orchestre qui nous attendait est un des meilleurs de la planète musicale actuelle. Les absents ont eu clairement tort car, une fois de plus le niveau musical était impressionnant, avec un Jansons en pleine forme, malgré ses récents déboires de santé qui l'avaient conduits à annuler un certain nombre de ses prestations de début de saison.

Le programme permettait d'entendre pour la nième fois la Symphonie n°4 de Mahler, agrémentée en première partie de la plus rare Symphonie n°9 de Chostakovitch. Cette dernière pouvait d'ailleurs constituer aux yeux de certains la valeur sure de la soirée tant Jansons a su se montrer inspiré dans Chostakovitch, en tout cas plus constant que dans Mahler où certaines de ses exécutions passées, toujours orchestralement irréprochables et intelligemment construites, s'avéraient un peu lisses et manquer de corps. Et comme attendu, la symphonie de Chostakovitch fut une belle réussite où brillèrent l'intelligence de la conduite du discours autant que la précision de l'orchestre dont le pupitre de cuivres fut époustouflant. Il faut rappeler que cette pièce occupe une place à part dans l'ensemble des quinze symphonies du fait de ses dimensions réduites (moins de trente minutes en cinq courts mouvements) et de son contenu très ironique et second degré, un peu comme l'était la Symphonie «Classique» dans l'œuvre de Prokofiev. Les autorités soviétiques attendaient du compositeur, pour cette œuvre écrite à la fin de la guerre (1945), une célébration glorieuse de la victoire du peuple russe et surtout de son dictateur. Comme on le sait Chostakovitch n'exhaussa pas vraiment ces vœux, se plaçant à 180° des attentes officielles, ce qui lui valut aussitôt bien des ennuis. L'exécution que nous offrirent Jansons et ses bavarois frisa la perfection avec un Allegro initial parfaitement mesuré dans la progression de ses tempi, laissant passer tout le deuxième degré contenu dans cette musique. La Moderato qui suivit fut peut-être le moment le plus intense de l'exécution, très expressif et d'une justesse instrumentale laissant pantois. Le triptyque final montra, entre autre, à quel point les cuivres bavarois ont un niveau difficilement surpassable, même s'ils ont une couleur wagnérienne naturelle qui ressort ici ou là. On peut sans doute jouer cette musique avec un peu plus de tranchant et de contraste, mais ça sera sans doute au détriment de la cohérence globale et de la construction, incontestables points forts ce que nous avons entendu ce soir, un modèle du genre.

Venant à peine cinq jours après une autre Quatrième, point faible du cycle Mahler de Gergiev, Jansons nous offrit à la fois une version plus «classique», plus homogène, et finalement plus convaincante que celle de son collègue de Saint-Pétersbourg. Il ne prit toutefois pas trop de risques dans ses tempi qui furent assez allant dans les deux premiers mouvements, les faisant avancer assez droit, avec une incontestable élégance, mais leur enlevant peut-être un poil de poésie et de caractère qu'une plus grande amplitude de tempo comme de dynamique aurait peut-être apportée. Ce que nous allions trouver dans le superbe Ruhevoll qui respira avec un naturel jamais forcé, malgré ou grâce à la retenue du tempo, que l'orchestre sut magnifiquement habiter. Pour nous ce mouvement fut le grand moment de l'interprétation de Jansons, conclu par un Poco più mosso majestueux et très contrôlé. Le lied final trouva en une interprète aussi délicieuse à regarder qu'à entendre car elle sut jouer de sa voix relativement légère pour donner quand il le fallait ce caractère aérien et angélique inhérent à cet extrait du Knaben Wunderhorn. Ce qui conclut en beauté une exécution de haute volée de ce qui est sans soute une des plus simplement et authentiquement «belles» symphonies de son auteur.

Crédit photographique : Bayerrischer Rundfunk

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