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Onegin trop exigeant pour Fribourg

Avec une seule production annuelle, l'Opéra de Fribourg s'était fait un point d'honneur et une bonne partie de sa réputation avec une politique artistique fondée sur la présentation d'œuvres lyriques rares.

Ainsi, on a pu voir de formidables petits chefs-d'œuvre comme les luxuriantes Aventures du Roi Pausole d'Arthur Honegger ou le sanglant The Medium de Gian Carlo Menotti. L'avantage de ces raretés permettait de monter des spectacles qui ne pouvaient être comparés avec d'autres scènes. Non pas qu'ils pouvaient être de moindre qualité mais la liberté de leur approche scénique était un paravent à la critique d'une scène lyrique possédant des moyens économiques limités.

Cette année, changement de cap avec une approche au grand répertoire. A l'affiche, rien de moins que l'Eugen Onegin de Tchaïkovski. Si comparaison n'est pas raison, force est de reconnaître que l'Opéra de Fribourg n'a pas les moyens de ses ambitions. Musicalement d'abord. Certes des efforts ont été entrepris pour que le plateau vocal soit d'un niveau plus élevé que ceux qu'on a entendu ces précédentes années mais l' dont nous avions relevé la bonne prestation l'an dernier se montre complètement dépassé par l'ampleur de cette partition. En manque total d'énergie malgré les invitations de son chef , les imprécisions, les décalages, les fausses notes parsèment la soirée. Jamais jusqu'ici la qualité musicale de la fosse n'avait été aussi problématique.

Pour sa mise en scène, opte pour un décor minimaliste (ça n'apporte rien, mais c'est tellement branché!) fait de panneaux éclairés de jaune pétant, de blanc, de bleu et de rouge électrique. Des panneaux éclairant tantôt la scène ou tantôt aveuglant le spectateur favorisant alors le jeu d'ombres pour des intimités perceptibles. Seuls accessoires, des tabourets et des tables. Des tables qui serviront d'autre scène, de lit, de trône, etc. Avec une majorité de chanteurs dont les capacités théâtrales restent limitées, le pari d'amener de l'émotion par leur seule présence se révèle difficile, voir impossible. Ainsi, à une ou deux exceptions près, même si la beauté des costumes (, ) est à relever, le spectateur averti n'y trouve pas son compte. On a donc pu entendre quelques «bouh» à l'adresse de solistes manifestement incapables de donner corps à une œuvre aussi exigeante.

Dans le rôle-titre, le baryton Sergei Stilmachenko (Eugen Onegin) se montre bien en-dessous de ce qu'on attend de ce personnage. Sa voix est terne, souvent engorgée, mais ce qui gêne le plus sont ses imprécisions rythmiques donnant l'impression qu'il déclame une pièce de théâtre plutôt que de se tenir à la partition musicale. La justesse souvent discutable, il donne la désagréable impression de faire «du n'importe quoi» ! Déstabilisant ses collègues, seul celui qui est totalement investi par son personnage résiste au parasitage mélodique de ce piteux Onégin. C'est le cas de la mezzo soprano (Olga), incontestablement la mieux préparée du plateau, qui domine la distribution avec une très belle voix, bien équilibrée, dont elle manie les couleurs avec beaucoup d'expressivité. Excellente actrice, ne surjouant jamais, elle incarne un personnage parfaitement crédible. Exagérant l'opposition du caractère enjoué d'Olga avec celui rêveur de sa sœur Tatiana, fait de cette dernière une neurasthénique accablée. Ainsi, la soprano (Tatiana) se confine-t-elle dans les attitudes stéréotypées d'une malade. Souvent cantonnée dans l'immobilité, vêtue d'une longue robe blanche sans corps, l'exagération des traits de son personnage lui fait perdre son importance. Et lorsqu'elle chante le fameux air de la lettre, on peine à croire à l'envahissant feu amoureux qu'elle dit ressentir. Reste que la voix est correcte quand bien même elle manque de couleurs.

Si (Lenski) n'a pas le velouté et le legato des grands Lenski russes, sa voix bien projetée offre l'image nouvelle d'un jeune homme viril en opposition avec celle de l'amoureux transi de la tradition. Tout à fait crédible, lorsqu'il chante son air (Kuda, kuda…), l'image de son corps maigre et de ses doigts effilés, en contre-jour des panneaux de décors éclairés de bleu, offre un moment théâtral saisissant qui, rehaussé par l'investissement artistique du chanteur reste le meilleur moment de cette production. Cinq minutes d'émotion pour deux heures et demie de spectacle, c'est un peu court. D'autant plus que le choix de la production pour le personnage bouffe de Monsieur Triquet (Michel Muhlhauser) s'est malencontreusement porté sur un ténor ne possédant pas les moyens vocaux pour chanter cet air terriblement difficile, même s'il ne dure à peine deux minutes. Décevant aussi (Comte Gremine) qui, avec l'un des deux plus beaux airs de tout l'opéra réussit la gageure de ne pas en dominer l'exécution en se permettant des erreurs de diapason inexcusables.

Comme on ne pouvait imaginer le célèbre bal d'ouverture du troisième acte si coloré dans maintes productions dans l'espace exigu de la scène fribourgeoise, il s'est donné à rideau fermé, l'orchestre se bornant à en jouer la musique.

Si la majorité le public a accueilli favorablement cette production, elle le doit certainement plus à la superbe musique de Tchaïkovski qu'à la réalisation artistique. Gageons que l'an prochain, dans un nouveau théâtre réclamé depuis de nombreuses années, l'Opéra de Fribourg pourra convaincre mieux qu'il ne le fait avec cette production dans celle de Madama Butterfly de Giacomo Puccini.

Crédit photographique : (Tatiana), Sergei Stilmachenko (Eugen Onegin) ; Hermine Huguenel (Mme Larina), (Olga), (Lenski) © Opéra de Fribourg

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