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Oedipus Rex par Dutoit : Le roi est nu

Malgré l'étalement des cordes aux pieds du chef , malgré la qualité de ces mêmes cordes, malgré l'inspiration de Sergey Ostrovsky, premier violon d'un attentif et précis, l'interprétation de cet Apollon Musagète ne sort guère de l'ennui que procurerait l'écoute d'une musique qu'on aurait composé pour un film documentaire sur la descente du Rhin de Cologne à Hambourg en péniche.

Non pas que la musique de Stravinsky n'ait pas sa valeur, mais la manière qu'a de l'aborder ne laisse rien supposer de la musique d'un ballet. Le chef semble s'attacher plus à sa propre gestuelle qu'à l'esprit même de l'œuvre. Quant on sait la passion secrète de Stravinsky pour la musique de jazz et le rythme qu'il met dans chacune de ses compositions, on se dit que le chef suisse n'a pas su la raconter ici.

Après ce qu'on pouvait éventuellement considérer comme un amuse-bouche, le plat de résistance que représente l'oratorio Œdipus-Rex est très attendu. Encore faut-il que le texte musical et le poétique soient racontés, soient portés. Le résultat nous amène loin de la version théâtrale d'Œdipus-Rex que la scène du Regio de Turin montrait en 2007. Alors qu'à plus forte raison, une version de concert se doit d'être plus inspirée qu'une version scénique justement parce que l'image n'est pas présente, semble étranger sinon à cette musique, du moins à ce qu'elle est sensée raconter. Or, le chef suisse n'a rien à dire. Ici, le roi est nu ! Se bornant à donner le départ aux différents pupitres et au chœur, sa direction ne se préoccupe guère de modérer la puissance de son orchestre et du chœur pour ne pas couvrir plus souvent qu'à leur tour les chanteurs sur le devant de la scène.

Des solistes par ailleurs peu concernés. L'intéressante brochette de chanteurs annoncés (et présents), tous aguerris à ce répertoire fait saliver. Ils se sont donc illustrés avec conscience. Chacun de leur côté. Rien dans leur interprétation ne laisse penser qu'ils étaient en train de dialoguer. Le nez planté dans leur partition, aucun n'apparaît connaitre de son rôle et de ce qu'il raconte. Avec une (Jocaste) hurlante, un (Œdipe) aux aigus coincés, un Robert Gierlach (Créon) à la projection vocale engoncée, un David Wilson-Johnson (Tirésias) fatigué, seul Fabio Trümpy (le Berger) semble s'investir un peu plus que ses collègues dans l'œuvre. Quant à lui, le narrateur sait son texte. Il le récite par cœur y mettant l'intonation juste d'une voix parfaitement intelligible et bien placée.

Mais l'égotique Charles Dutoit (que feu Armin Jordan disait qu'il aurait dû s'appeler «Du Moi» !) n'a aucune prise sur l'excellence de l'interprétation du Schweizer Kammerchor de Fritz Naef. Une masse chorale dont l'impeccable préparation exprime ce que le livret veut raconter. Une prestation impressionnante qui confirme l'excellente impression que cet ensemble avait laissé lors d'un précédent Martyre de Saint-Sébastien de Debussy à Lucerne en 2008 et un Requiem de Berlioz à Montreux, en 2008 aussi.

Crédit photographique : © DR

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