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Rencontre entre Stravinsky et Mascagni, haut les chœurs !

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Turin. Teatro Regio. 4. III. 2007. Igor Stravinsky (1863-1945) : Œdipus Rex, oratorio en deux actes sur un livret d’Igor Stravinsky et Jean Cocteau traduit en latin par Jean Daniélou. Pietro Mascagni (1863-1945) : Cavalleria Rusticana, mélodrame en un acte sur un livret de Giovanni Targioni-Tozzetti et Guido Menasci. Mise en scène : Roberto Andò ; décors Mimmo Paladino ; Machinerie : Danile Spisa ; costumes et lumières : Gianni Carluccio ; vidéo : Luca Scarzella. Avec Ilkido Komlosi, Jocaste/Santuzza ; John Uhlenhopp, Œdipe ; Lucio Gallo, Créonte/Alfio ; Petri Lindroos, Tirésias ; Mario João Alves, le berger ; Piero Terranova, le messager ; Marco Baliani, le narrateur ; Walter Fraccaro, Turiddu ; Silvia Mazzoni, Mamma Lucia ; Rossana Rinaldi, Lola. Chœur du Teatro Regio (chef des chœurs : Claudio Marino Moretti). Orchestre du Teatro Regio, direction : Jacques Lacombe.

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Œdipus-Rex, cette prose de Jean Cocteau et d' enfermée dans une traduction latine du cardinal est une œuvre imposante. Le texte recomposé dans une langue morte donne à la prosodie un aspect monolithique et définitif lui conférant une certaine universalité, voire une éternité.

Quoique défini comme un oratorio, la forme reste celle d'un opéra avec ses airs, ses récitatifs et ses chœurs. Musicalement, Stravinsky fait appel au néo-classicisme d'où il n'exclut jamais les rythmes empruntés au jazz. Des notions musicales qui, sans qu'elles soient empruntées texto, rappellent Le Sacre du Printemps. Au pupitre, en apprivoise les syncopes et les dissonances en projetant un Orchestre du Teatro Regio inspiré vers une exécution très colorée.

Reste surprenant l'étrange accouplement lyrique de cette soirée du Teatro Regio. Alors que la tradition associe les opéras véristes de Cavalleria Rusticana de Mascagni avec I Pagliacci, c'est et une œuvre se référant à la mythologie grecque qui a pris la place du populaire opéra de Leoncavallo. Alors, rupture ? Peut-être. En effet, on voit mal comment l'exubérance du peintre et sculpteur italien Mimmo Paladino se serait trouvée à l'aise dans la mise en abyme de I Pagliacci..

Occupant toute la largeur de la scène du théâtre, des portiques tombant en ruine surplombent un amas de gravats. À l'œuvre impressionnante de Stravinsky, on ne pouvait imaginer décor moins démesuré. Sur ce mur de pierres grises et jaunâtres, les Thébains vêtus de toges de jute sous des éclairages rasants se confondent avec les décombres de leur ville. Dans le désarroi de leur impossible acceptation de l'épidémie qui s'est abattue sur eux, ils restent figés dans une immobilité statuaire. Soudain, l'explosion vocale du chœur déchire l'espace. Dans un poignant « Caedit nos pestis » (Qui nous délivrera de la peste), les pierres semblent s'animer. Avec cette étourdissante entrée en matière, les hommes du chœur du Teatro Regio gagnent leurs notes de noblesse d'une soirée que leur prestation rend passionnante et investie. A chacune de leurs interventions, l'image de leur fantastique préparation impressionne. Haut les chœurs !

Sur le devant de la scène, l'acteur narre les épisodes du drame de Sophocle. Introduisant les personnages de l'intrigue, leurs interventions restent noyées devant le déferlement vocal du chœur. Ainsi, le ténor tente de soutenir vocalement un personnage que la mise en scène terriblement statique écrase. Manquant du timbre et de la puissance vocale nécessaire à « sonner » au-dessus des chœurs, peut-être que le choix d'un helden ténor aurait été plus judicieux. S'il en est de même pour les autres solistes, la prestation de la soprano Ilkido Komlosi est très convaincante. Du haut de la scène, telle une Turandot, elle projette dans la puissance d'une voix noire et timbrée un personnage centré sur l'incrédulité des oracles. Une puissance qu'elle mutera en une douloureuse et émouvante complainte quand, dans la reprise de son refus de croire aux prédictions, le doute commence à s'installer en elle. A noter la scène de son suicide, étranglée par un foulard rouge, d'une grande beauté et d'une impressionnante réalité. Lorsque le rideau tombe, l'émotion du public est palpable.

Au terme de ce spectacle d'ouverture de la soirée, la manière impressionnante imaginée par la mise en scène statique du cinéaste italien , par les éclairages magnifiques et l'originalité des costumes de l'aussi metteur en scène Gianni Carluccio et surtout par le décor monumental du peintre et sculpteur Mimmo Paladino montrent un travail visuel embrassant le monde de la légende à celui de la réalité avec le lien commun de la défaite des femmes, pierre angulaire de tous les opéras.

Changement total d'ambiance avec l'emblématique opéra vériste de Mascagni. De la ruine des temples de Thèbes d'Œdipus-Rex, c'est la nudité des alentours d'un village sicilien qui sert au drame de Mascagni. Un monumental dolmen noir trône au centre d'un espace désert. Sur le fond de scène, la projection de nuages noirs poussés par un vent d'orage renforce la pesanteur de l'atmosphère. Les éclairages superbes contrastent avec les images de la désolation comme celles de l'arrivée des villageois rassemblés par la fin de la journée. Clichés d'une Sicile archaïque, avec ses personnages campagnards endimanchés se préparant aux célébrations de Pâques. Chacun apporte sa chaise, la dispose en arc de cercle, prend place et s'entretient avec son voisin. Des mouvements d'ensemble magnifiquement préparés, le naturel de chacun sublimé dans une discrétion du geste, une diversité du pas des uns, de celui des autres. Du très beau travail.

Comme porté par cette direction scénique, le chœur se projette dans une magnificence vocale jubilatoire. La puissance exprimée dans le chœur d'introduction « Gli aranci olezzano » est impressionnante et augure d'une interprétation éclatante de l'œuvre de Mascagni. Malheureusement, le travail de direction d'acteurs du metteur en scène pour la mise en place des choristes l'éloigne des solistes, les laissant se manifester scéniquement avec le bagage de leur expérience. Pour la plupart piètres acteurs, ils n'arrivent jamais à habiter la spatialité de cette scène totalement dépouillée. Désemparés, ils sont gauches.

Le séducteur possède toutes les notes de la partition, mais son chant sans grandes variations de couleurs le voit sans relief. De plus, une gestuelle fruste le dessert dans la personnification de son personnage. À ses côtés, amante abandonnée, la soprano Ildiko Komlosi a une approche intelligente du personnage. Toutefois, elle ne possède pas les qualités vocales suffisantes pour exprimer toute l'émotion de cette femme bafouée. Dotée d'un instrument vocal solide, d'une diction irréprochable, peint avec beaucoup d'humanité l'image de la mère résignée aux drames qu'elle vit à chaque instant de sa vie. En quelques phrases, avec peu de gestes, campe un personnage, certes secondaire, mais d'une présence scénique qu'on aurait aimé voir chez les autres protagonistes. Vocalement très à l'aise, parfaitement dans la peau de son personnage, elle est la jolie garce du drame. Le mari trompé de est vocalement trop excessif pour qu'on puisse apprécier sinon sa colère, du moins l'affront qu'il a subi. Il aboie son texte dans une vocalité fruste.

Dans la fosse, le chef déçoit. Sa direction sans caractère montre un orchestre du Teatro Regio très moyen, sans commune mesure avec ce qu'il a présenté de Œdipus-Rex. Les pages si lyriques de Mascagni (comme dans le célèbre Intermezzo) perdent de leur intensité pour n'être qu'une suite de notes sans relief.

Le public terriblement indiscipliné, irrespectueux de son voisinage, bruyant, toussant, a pourtant réservé un triomphe à ce spectacle, probablement plus en raison du plaisir de reconnaître une œuvre mythique de l'opéra italien qu'à celui de la prestation réelle des artistes.

Crédits photographiques : © Ramella & Giannese/Fondazione Teatro Regio di Torino

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