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Christophe Dumaux, nouveau Jules César

Grâce à cette production, pourtant peu fortunée (l'Atelier lyrique de Tourcoing et le Grand Théâtre de Reims s'en partagent la responsabilité), comment ne pas être réconcilié avec Giulio Cesare ? 

En ce début d'année à l'Opéra Garnier, une production, musicalement cadenassée et scéniquement tautologique, avait été une telle douche froide…

et Christian Schiaretti ont appréhendé ce dramma per musica tel qu'il est, avec ses moments radieux et ses «tunnels». Surtout, dans un livret qui, avant tout, vise à servir des chanteurs, ils ont cueilli les diverses fleurs qu'il offre et n'ont pas cherché à en faire une étude sur le pouvoir.

Comme souvent avec Christian Schiaretti (il n'est pas, en vain, le successeur de Jean Vilar à la tête du Théâtre National Populaire), nul décor mais un parquet «savant». En l'occurrence, une des quatre pointes de ce parquet carré est dirigée vers la salle ; son matériau accueille un très subtil travail d'éclairage, tantôt en sa teinte naturelle, tantôt selon une vaste palette colorée, jusqu'au rouge. Et comme toujours avec Christian Schiaretti, outre des costumes très raffinés, la direction d'acteurs est engagée et si précise qu'on l'oublie au profit des deux textes (le livret et la partition). Chaque personnage important est cerné dans ses complexités, tandis que les rôles que l'œuvre laisse incertains (Tolomeo et Achilla) trouvent ici une intéressante justification dramaturgique. Le droit fil qui est tissé tout au long de cette représentation tient à cet intelligent entrelacs de portraits et de situation. Et si le champ politique demeure central, du moins chaque personnage semble-t-il agir selon son libre arbitre, et non dans des voies préalablement fixées. Laisser ainsi parler l'œuvre, plutôt que de jouer, ricanant, avec elle comme avec un objet méprisé, laisse, au spectateur, une savoureuse impression de liberté …

Musicalement, la réussite fut identique. a offert (au sens d'un don généreux) une matière musicale vivante : il a établi une exacte complicité avec les chanteurs (si le soutien est constant et confiant, point n'est besoin d'indiquer, au chanteur, chacun de ses départs) ; à l'égard de l'orchestre, il a trouvé la structure rythmique de chaque numéro et, à l'intérieur de chacun d'eux, des phrasés qu'ils n'a pas gérés en expert-géomètre ou en commissaire aux comptes (une nouvelle fois, notre regard se tourne vers la «grande boutique» au début de cette année) mais qu'il a conduits avec la souplesse d'un chat, précis mais bonhomme, qui jouerait du jazz. Ainsi une partition vit-elle, pleinement et chaleureusement, servie par musicien-né et par un praticien d'abord soucieux de faire vivre la musique (de la musique médiévale au théâtre-musical), avant de la faire sonner. Parmi les générations postérieures, un seul suit un chemin similaire : . À quand les suivants ?

Quant au plateau vocal, il fut de belle tenue. Notamment le couple central : après avoir maintes fois chanté Tolomeo, effectue là de remarquables débuts en Giulio Cesare : théâtralement, il en magnifie les diverses facettes, et vocalement, il en maîtrise toute la tessiture, pourtant assez grave. D'emblée, il surgit comme un des meilleurs titulaires de ce rôle. Les éloges que nous lui adressions dans le récent Akhmatova, à l'Opéra-Bastille, sont ici renouvelés et montrent tout le talent de ce jeune chanteur. À ses côtés, , dont la carrière internationale impressionne, n'usurpe pas le soutien que Placidó Domingo lui apporte : elle allie un timbre dense et assez sombre mais d'une séduisante douceur. Grâce à elle, Cleopatra existe dans toute sa complexité et est autant une femme amoureuse (presque malgré elle) qu'une souveraine qui, par tout moyen, tente d'enrayer le déclin de son empire. Elle offre là une de ces compositions scéniques et vocales qu'il est difficile d'oublier.

Soyons rassurés : Giulio Cesare vit encore !

Crédit photographique : (Giulio Cesare) & Sonya Yontcheva (Cleopatra) ; (Cornelia) & (Sesto) © Danielle Pierre

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