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The Rape of Lucretia, Aldeburgh s’invite à Luxembourg

Il y a quelques saisons déjà, le public luxembourgeois avait eu la chance de voir au Grand-Théâtre la superbe mise en scène du Viol de Lucrèce par David McVicar, coproduite entre l'English National Opera et le festival d'Aldeburgh.

C'est à nouveau une production d'Aldeburgh qui a été présentée à Luxembourg, mais c'est à fois-ci en version de concert à la Philharmonie, et donc sans mise en scène. Si l'émotion de la version scénique avait été en grande partie suscitée par la justesse et par l'intensité d'une direction d'acteurs extrêmement accomplie, c'est ici par la seule force de la musique que la magie la plus pure a pu opérer sur l'auditeur.

Recruté pour la circonstance parmi des instrumentistes des meilleurs orchestres de Grande-Bretagne – c'est-à-dire, en réalité, une réunion de treize solistes tous aussi exceptionnels les uns que les autres –, le Aldeburgh Festival Ensemble fait merveille sous la direction précise et attentive du chef écossais . Autant dans le lyrisme que dans les élans plus dramatiques et plus passionnés, cette formation de chambre a impressionné par sa précision, par sa force et par son éloquence. Rarement aura-t-on entendu un tissu musical d'une telle concision et d'une telle densité, qui vient à point nommer, à une époque où l'on juge davantage un compositeur d'opéras pour le pouvoir théâtral de ses œuvres, nous rappeler quel sublime orchestrateur était également .

Le plateau vocal, si cela est possible, est d'un niveau presque supérieur encore, avec comme seule relative faiblesse le Tarquin quelque peu fruste de Peter Coleman-Wright, qui n'est pas tout à fait parvenu à faire oublier la troublante sensualité de Chrisopher Maltman lors de la production scénique de l'œuvre.

Tout à fait admirables en revanche sont les autres rôles, de la Lucia cristalline de Claire Booth au Collatinus digne et émouvant, dans sa souffrance contenue, de Christopher Purves, en passant par le Junius veule et lâche de Benjamin Russell et encore l'accorte Bianca de , qui maîtrise si bien un instrument atypique dont elle sait tirer mille couleurs. Seule non-anglophone de la distribution – ce qui ne s'entendait guère… –, est bouleversante en Lucrèce, rôle ont elle perçoit les multiples ambiguïtés. Sa voix, au timbre relativement clair et à la sensualité toute contrôlée, semble taillée sur mesure pour un rôle dont la tessiture ne réclame en rien un instrument plus sombre comme autrefois le contralto de sa créatrice Kathleen Ferrier. Les deux triomphateurs de la soirée n'en sont pas moins les deux interprètes du Chœur antique, dont la fonction est de commenter l'action tout en s'y immisçant subtilement. fait ainsi valoir son beau soprano fruité, charnu et ductile. Les rondeurs féminines du timbre, souvent appelé à se mêler aux autres voix de femme de la partition, constituent sans doute le commentaire le plus efficace de l'acte barbare qui se déroule sous les yeux du public. Encore plus extraordinaire est la prestation de , pourtant annoncé souffrant. Sa diction exemplaire, son timbre subtil et raffiné, la manière fine et détaillée dont il distille le texte en en faisant ressortir tous les non-dits, en font sans doute le meilleur interprète possible pour ce rôle, de loin supérieur en tout cas à son créateur Peter Pears, irrémédiablement pénalisé par un timbre sec et ingrat.

En somme, une extraordinaire soirée qui nous rappelle à quel point certains opéras de Britten gagneraient à être mieux connus dans le monde francophone.

Crédit photographique: © Simon Fowler

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