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Un Tannhäuser décapant venu de Copenhague

Monsieur Tannhäuser, écrivain et chanteur de renom, est confortablement installé dans un bel appartement qu'il occupe avec son épouse Elisabeth, son jeune fils – le pâtre du premier acte… – et une nombreuse domesticité.

Il est vêtu et maquillé à la , et la nuit, quand il écrit, il trouve son inspiration dans diverses formes d'intoxication plus ou moins fantasmées : sexe, drogue, alcool. Son imagination fébrile l'emmène dans un monde dionysiaque bien à lui qu'il partage néanmoins avec Vénus, sa muse et inspiratrice, ainsi qu'avec les domestiques de son joli intérieur, transformés au cours de l'orgie en de sulfureuses bacchantes. Le poète les parcourt de sa plume débridée, de même qu'il écrit sur les meubles et les murs de sa maison… Mais les périodes d'intense création artistique lui font vite regretter le confort bourgeois qu'il trouve auprès de son fils, de sa vertueuse épouse et de son réseau social, présenté de façon pour le moins caricaturale. Certaines de ses connaissances s'endorment au deuxième acte pendant le discours du landgrave de Thuringe…

Admettons ! La problématique centrale de l'ouvrage est respectée, mais comme souvent dans les mises en scène censées « dépoussiérer » le répertoire, la métaphore se heurte vite à ses propres limites, et la transposition crée davantage d'incohérences qu'elle n'éclaire ou ne « modernise » un livret suffisamment explicite tel quel pour nécessiter ce type de placage interprétatif. On ne comprendra pas, dans cette lecture essentiellement réduite au trio Tannhäuser/Elisabeth/Vénus, quel est le véritable rôle joué par Wolfram, et encore moins quelle est la fonction de Hermann et des autres Minnesänger. On se saura pas plus ce que vient faire dans tout cela le pèlerinage à Rome – que Tannhäuser, d'ailleurs, ne fait pas… – ou encore la sentence du Pape. Mais on imagine que cela n'a que peu d'importance…

Quoi qu'il en soit, on n'en apprécie pas moins une fort habile direction d'acteurs, une caméra mobile et intelligente qui fait bon usage – pour une fois ! – des gros plans, ainsi que l'esthétisation d'un savant décor, rehaussé par de très beaux éclairages. On pourra certes contester certains aspects de la relecture, mais on ne pourra nier que a du métier et même un certain talent, comme l'a d'ailleurs déjà montré sa récente production danoise du Ring, également disponible en DVD chez Decca.

Sur le plan musical, le plateau est d'un niveau plutôt moyen, même si les différents protagonistes semblent avoir la voix du rôle ; dans un ouvrage de Wagner, cela n'est déjà pas mal. est ainsi un Heldentenor à la voix quelque peu usée, mais son exceptionnel engagement dramatique compense largement ses relatives faiblesses vocales. De même, le vibrato de est peut-être intempestif pour la blonde et digne Elisabeth, mais l'actrice reste extrêmement émouvante de bout en bout. La voix la plus solide du plateau est sans doute celle de , terrifiante sinon voluptueuse Vénus. En Wolfram von Eschenbach, manque singulièrement de legato et de musicalité.

On a entendu des directions moins routinières que celle de , mais globalement, l'orchestre et les chœurs de l'Opéra Royal Danois, ainsi que les nombreux rôles secondaires, font preuve de compétence et de savoir-faire.

En somme, une production intéressante, qui sans doute agacera beaucoup d'auditeurs mais qui n'en a pas moins le mérite de chercher à décaper le grand répertoire wagnérien. Reste à savoir si ce dernier en a véritablement besoin.

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