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Savall se penche sur le cas des Borgia

nous conviait à un spectacle fleuve autour de la famille Borgia, d'après le livre-cd qu'il vient de faire paraître. Centré sur les quatre principaux représentants de cette dynastie sulfureuse, à savoir le pape Alexandre VI (excusez du peu), ses enfants César et Lucrèce (ah ? tiens …) et le petit dernier, François, le programme se propose d'illustrer leur parcours par l'alternance de pièces instrumentales, vocales et de lectures de textes en castillan, valencien et italien. Le tout forme un ensemble fort intelligemment structuré en diverses parties thématiques, à savoir l'ascension, le pontificat, les mariages de Lucrèce, etc. Comme à son habitude, Savall ne juxtapose pas, il compose avec un goût sûr et la maîtrise de la récidive. Les diverses pièces sont ainsi liées entre elles par des improvisations ou par des sonneries de cloche, ce qui peut sembler un peu artificiel, mais bon.

Le programme alternait entre surprises, telles la romance chantée par en ouverture ou le Taksim et danse qui se souvient d'un précédent spectacle autour de Dimitrie Cantemir et des valeurs sûres du répertoire, comme le Requiem de , les versions instrumentales de la Bataille de Janequin, par Susato, et de Mille Regretz de Josquin, par Narvaez, ainsi que certaines marottes de Savall, dont la chanson Dindirindin, par ailleurs fort élégamment instrumentée.

Cet effort perceptible en ce qui concerne l'instrumentation des pièces, qui vise à créer des variations dynamiques par le truchement du crescendo d'orchestre, est à ce point rodé qu'il est en passe de devenir un des éléments kitsch de l'interprétation de la musique ancienne. Globalement réussi, il nous laisse pourtant toujours autant perplexe. En effet, si ce procédé comble l'horizon d'attente de l'auditeur contemporain, il n'en est pas moins fondamentalement étranger à ce répertoire : il crée en effet un temps téléologique, une organicité, dans un discours musical qui n'en a pas à proprement parler.

Du point de vue des chanteurs, c'est peu dire qu'ils sont impeccables, et les contre-ténors et par exemple, nous comblent de leurs timbres cristallins, bien au-dessus de la mêlée. Montserrat Caballé étant indisposée, c'est la soprano Elisabetta Tiso qui la remplaçait au pied levé, sans réussir quant à elle, et c'est dommage, à nous marquer véritablement.

La conclusion du spectacle était enfin l'occasion d'un petit moment de solitude. Elle consistait en la lecture de l'Édit d'expulsion des maures d'Espagne de 1609 par Francisco Rojas, suivie d'une improvisation des joueurs de oud et de kaval, à l'issue de laquelle ces instrumentistes quittent le plateau, dans un effort de scénographie dont on ne sait s'il est le comble du pathétique ou du grotesque. Les extrêmes se touchent. Il nous semble que traiter d'un tel sujet en deux numéros est assez court ; ce serait l'occasion d'un spectacle à part entière ! Et puis quel est le lien de cet épisode avec la famille des Borgia ? La mort du dernier représentant de cette dynastie dont on s'occupe ici est antérieure d'un peu plus de trente ans ! En bref, ce final grandiloquent nous laissait une impression bizarre, de l'ordre du cheveu sur la soupe.

Crédit photographique : © Catany

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