- ResMusica - https://www.resmusica.com -

L’Oiseau de feu de Jukka-Pekka Saraste

L'oiseau de feu est un ballet qui raconte une histoire écrite par le premier Stravinsky et consacre le début de sa carrière en 1910. Par conséquent, la quête d'une interprétation digne de ce nom ne peut s'obtenir uniquement si le chef sait réunir trois qualités : celle d'un narrateur, celle d'un rythmicien et celle d'un coloriste. Ces trois conditions doivent se marier harmonieusement, fusionner sans que l'une domine l'autre, trouver un équilibre idéal, en somme.

L'histoire, tirée d'un célèbre conte russe, on peut ne pas l'avoir à l'esprit quand on écoute la composition. Mais chacun des vingt-quatre numéros comporte un titre. L'auditeur, s'il les suit attentivement, aura son imagination stimulée par la correspondance entre l'ouïe et l'oreille et demandera donc un lien étroit entre l'une et l'autre de la part des interprètes. C'est Diaghilev qui a commandé L'oiseau à Stravinski. Il est donc impossible de nier l'aspect chorégraphique initial et du rythme permanent à donner. Enfin, en digne héritier de Rimski-Korsakov dont il a été l'élève privé, Stravinski assimile le langage de son profession, indéniable coloriste de l'orchestre.

Ceci posé, où se place la version de ? Pour bien s'en rendre compte, nous disposons de deux références indétrônables : celle de Stravinski lui-même réalisée à la fin de sa vie à Hollywood en 1961 avec le Columbia Symphony Orchestra et celle d'Antal Dorati dans sa première version de 1959 avec le London Symphony Orchestra. Si Stravinski confine à l'explication littérale du moindre détail de la partition dans une direction narrative très poussée, Dorati réunit les trois qualités précitées dans un éblouissant festival sonore, sommet absolu de la discographie.

L'optique de Saraste s'avère davantage et uniment symphonique. La rondeur de l' et des phrasés, peut-être accentuée par une prise de son très confortable et jamais verte, étouffe la lisibilité des pupitres. Le rythme, secondé par des tempos plutôt assez lents, est gommé et se fond dans un ensemble cohérent mais trop lisse. Le modernisme de l'œuvre ne ressort pas autant qu'il le devrait, et la pâte sonore manque de détails et de surprises. Tout semble comme vu au travers d'une vitre dont l'image ne donnerait pas une vision nette de la réalité. Du coup, les couleurs s'en trouvent assombries et manquent de brillant. Ce qui demande à être creusé et fouillé est simplement dévolu à un symphonisme qui ne prend parti ni pour la danse, ni pour l'histoire ni pour la couleur. Le conte russe merveilleux destiné à être chorégraphié s'efface au profit d'une pièce pour orchestre en deux tableaux et vingt-quatre parties à écouter chez soi confortablement ou au concert.

Rien de neuf, donc, les vieux maîtres restent aux commandes.

(Visited 182 times, 1 visits today)