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Matthias Goerne, orfèvre du lied

A quelques semaines d'intervalle, le Grand Théâtre de Genève a offert deux de ses plus beaux récitals de chant. Le premier avec René Pape qui avait révélé la majesté du chant et le second avec qui en dévoile l'orfèvrerie.

Pour qui assiste pour la première fois à un concert du baryton allemand, il se trouve quelque peu décontenancé par l'attitude du chanteur. Il ne tient pas en place. Il va, il vient, s'éloigne du piano, s'en rapproche, se penche vers l'avant, regarde le plafond, écarquille les yeux comme avec étonnement, souligne la musique du bras. Tout cela produit un léger malaise doublé d'un étrange sentiment qui bientôt s'apaise à l'écoute du chanteur.

Dans son choix de présenter ce cycle de poèmes de Wilhelm Müller, comme dans son approche au lied en général, affirme ne pas chercher à raconter ce que dit le poème. Il se propose d'éclore la musique des mots, celle des syllabes, la subtilité du son des consonnes.

Une approche intellectualisée qui déroute qui s'attend à ce qu'un lied comme Gute Nacht soit une berceuse, un chant d'amour à la jeune fille abandonnée par l'étranger. On entend alors s'envoler vers un lyrisme musical presque éloigné des mots même s'il traduit encore l'esprit du poème. Il faut donc un certain temps à l'auditeur non averti pour s'immerger dans l'approche abstraite de Matthias Goerne aux mots mis en musique par Schubert. Ceci d'autant plus que le baryton retrouve soudain le réel lorsqu'il chante la nostalgie du souvenir dans Der Lindenbaum (Le tilleul). Alors, peu à peu s'installe en chacun la communion avec la seule musique. On berce dans un chant qui enveloppe, envahit, fascine. Parce que le chanteur fascine. Sa musique, son art du chant, celui de la nuance, son contrôle absolu de la voix, du passage progressif de forte à des mezza-voce.

Et que ses pianissimo soient entendus jusqu'aux derniers rangs du théâtre alors qu'ils sont susurrés à son accompagnateur n'ont plus d'autre importance que l'expression de la musique à laquelle Matthias Goerne se voue entièrement. On admire, on jouit, on s'étonne que le chant puisse atteindre un tel degré de perfection. Tout est mesuré, tout coule comme un fleuve tranquille, tout est beau. Tout est abouti. Parfait. Si parfait qu'on espère presque le faux pas. Mais jamais il ne survient. Chant après chant, une telle dentelle musicale, une telle minutie ne peut capter la constance de l'attention. Alors, on se relâche quelques instants, et comme par ennui, on se distrait porter son regard vers un ailleurs, un autre horizon. Loin de la fascination de la scène. Peut-être parce que cette perfection cache un certain manque d'émotion. L'émotion qu'un latin ressent à l'écoute des excès d'une note trop longue, d'un aigu trop lancé. Il voudrait le ressentir, comme un chant résonnant dans son ventre. Dans ses tripes. Mais c'est à la tête qu'il s'adresse.

Tiens ! Voilà qu'on se sent à nouveau pris par le chant de Matthias Goerne. Serait-ce qu'il se passe autre chose ? En effet, dans le coin du tableau si merveilleux, c'est Das Wirtshaus (L'auberge) qui soudain révèle l'émotion du voyageur devant les portes du cimetière. Un déclic émotionnel qu'on pensait impossible qui conduira le baryton allemand vers les rivages magnifiques du trouble sentimental. Dommage qu'il ait fallu attendre jusqu'au vingt-et-unième des vingt-quatre chants de ce Winterreise pour toucher à ce sublime.

Peut-être n'était-ce jusqu'alors que l'incompréhension du message subtil de cet artiste dont était victime votre serviteur ?Et pourtant, quel aussi extraordinaire musicien accompagnateur que cet . Quelle musicalité, quelle subtilité du toucher !

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