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A Vevey, petit théâtre, grand Don Carlo

Monter Don Carlo de Verdi demande des moyens souvent considérables. Des moyens théâtraux, des décors, des costumes. Des moyens musicaux, un orchestre, un chœur imposant, des solistes.

Devant l'ampleur de la tâche, nombre de maisons lyriques renoncent à une telle entreprise. Résultat : on ne donne plus Don Carlo ou alors dans des reprises poussiéreuses sans intérêt. Ah ! les Don Carlo qu'on a pu voir sur nos écrans de télévision retransmis de La Scala de Milan ou du Metropolitan Opera de New-York.

Paradoxe des paradoxes, c'est aujourd'hui dans un théâtre de moins de huit cents places qu'on voit le chef d'œuvre de Verdi. Pour cela, il aura fallu une immense envie poussée jusqu'à l'inconscience pour motiver la basse et le metteur en scène de se lancer dans la réalisation de cette aventure lyrique. Des décors simples, même si un peu étriqués, une scène dépouillée d'accessoires (il faut bien laisser la place à tout le monde qui chante dans l'impressionnante scène de l'autodafé !) Des costumes d'époque bien choisis, quand bien même ils proviennent peut-être de quelque autre théâtre. Une mise en place, plus qu'une véritable mise en scène, racontant l'intrigue plutôt que d'approfondir l'aspect psychologique des personnages. Voici la recette abrégée de cette production qui, de trois représentations à Neuchâtel, deux à Fribourg s'arrêtait pour une seule soirée dans le charmant petit théâtre de Vevey.

Don Carlo est avant tout un opéra débordant d'airs plus beaux les uns que les autres, d'une musique grandiose et de chœurs imposants. L'enthousiasme et la bonne volonté à eux seuls ne font pas un spectacle. Encore faut-il que musicalement l'affaire tienne la route. Et c'est là que cette production réussit un véritable tour de force. Certes, la distribution recèle quelques faiblesses mais, là où bien des théâtres sont incapables de réunir dans l'homogénéité trois rôles principaux, cette production de Don Carlo en trouve six !

Mais avant même d'analyser les performances des chanteurs, il faut reconnaître que la tenue plus qu'honorable de ce spectacle est avant tout redevable à la formidable prestation de l' sublimé par la direction incroyablement efficace et musicale de son chef . Les trois premiers accords de l'ouverture avec l'entrée des trombones si souvent victime de décalage laisse immédiatement entrevoir qu'on a soigné le détail. Avec une assise orchestrale aussi solide que celle-ci, les solistes ne peuvent que se trouver à l'aise.

C'est ainsi qu'à des degrés divers, chacun a pu bénéficier d'un soutien orchestral de premier ordre. Un soutien qui révèle des talents d'avenir. A commencer par le rôle-titre du jeune ténor (Don Carlo) dont les moyens vocaux s'avèrent à la hauteur de son personnage. Si l'on aurait aimé qu'il trouve plus de couleurs, plus de nuances dans ses interventions, on apprécie la justesse du son, la projection vocale et surtout, l'admirable force physique qui lui a permis de porter jusqu'au bout une épreuve très exigeante. La fatigue d'un rôle épuisant l'a quand même contraint de modérer son énergie dans l'ultime duo avec Elizabeth de Valois. C'est à ce moment même, où les forces lui faisaient presque défaut qu'il a été vocalement le plus près du personnage. Ne forçant plus la voix, elle était beaucoup plus belle. Prometteur, bien dirigé, ce jeune ténor devrait bientôt brûler les planches des théâtres lyriques. A suivre !

Autre découverte vocale, la basse (Il Grande Inquisitore) qui trouve ici la juste mesure d'une voix très intéressante. Très timbrée, chargée d'un grain magnifique, semble avoir pris une soudaine envolée depuis sa prestation du Sire de Béthune dans Les Vêpres Siciliennes de Verdi à Genève. Comme pour son collègue de plateau , un peaufinage de ses ardeurs vocales, un soin des couleurs devraient le porter vers une approche plus sensible de ses personnages. Reste que son duo avec le roi Phillippe II demeure l'un des meilleurs moments de cette soirée.

A côtés de ces chanteurs d'avenir, la figure de la basse (Filippo II) apparaît comme patriarcale tant il impose par sa présence. On pourra cependant émettre quelques timides réserves quant à sa voix qui nous a semblé manquant d'une certaine homogénéité. Alors que le registre grave reste impressionnant, les aigus manquent parfois de couleurs, voire de justesse. Toutefois, son « Ella gammai m'amo » débuté un peu timidement s'est avéré d'une force de conviction très digne.

Décevante en revanche la prestation du baryton Alejandro Meerapfel (Posa) dont la voix portée dans le masque prend des tonalités nasales dès lors que le chanteur en force le volume.

Du côté féminin, il faut relever la prestation de la soprano (Elizabetta di Valois). La soprano suisse fait montre d'une belle maîtrise vocale de son rôle qui cependant reste à la limite de ses moyens. Extrêmement concentrée, fournit une prestation des plus honorables quand bien même cette concentration l'empêche d'explorer les aspects psychologiques de son personnage. En d'autres termes, si la performance vocale est à saluer, cette même performance et l'implication technique qu'elle requiert chez la soprano l'empêchent d'en délivrer l'émotion et le message artistique.

A ses côtés, la mezzo-soprano Federica Proietti (Eboli), visiblement souffrante comme annoncée, s'en tire plutôt bien quand bien même, elle ne possède pas (ou plus) les aigus de la partition. La soprano Anna Maske (Thibault) doit encore contrôler sa jolie voix pour mieux se fondre dans la musique de Verdi, en particulier dans son duo avec Eboli qu'elle tend à couvrir.

En résumé, malgré les quelques réserves émises ci-dessus, cette production dont on pouvait craindre le pire en raison de l'énormité de ce projet face à la relative jeunesse et l'inexpérience de la plupart des protagonistes s'est révélée d'une très belle tenue. Elle a été saluée par des applaudissements nourris par des spectateurs comblés. Félicitations !

Crédit photographique : © DR

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