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Concours Reine Elisabeth 2012 magnifiquement restitué au CD

Quelle évolution, quel parcours accompli dans la médiatisation par le disque du Concours Reine Elisabeth depuis 1965 ! Les mélomanes d'un certain âge se souviennent très certainement des quelques microsillons Decca-Fonior gravés par l'admirable pianiste belge , suite à son troisième prix au Concours Reine Elisabeth 1964 : ces gravures avaient été réalisées en studio, car à cette époque, aucune firme de renom n'osait publier, captées sur le vif, les prestations de concours des finalistes. Mais dès la session suivante (violon, 1967), la Discothèque Nationale de Belgique édite les prestations des trois premiers lauréats (Philippe Hirschhorn, Stoïka Milanova et Gidon Kremer), par l'intermédiaire des pressages de la Deutsche Grammophon : un succès retentissant. À partir de là, toutes les sessions suivantes auront leurs témoignages « live » gravés sur disque.

2012 est l'année du 75e anniversaire du Concours Reine Elisabeth, initié en 1937 sous le nom de Concours , et un soin tout particulier a été apporté à l'aspect médiatique, et particulièrement au disque : il convient d'ailleurs de préciser que depuis 2007, le Concours Reine Elisabeth produit ses enregistrements sous sa propre appellation. On sait que toutes les facettes de l'art des concurrents sont constamment mises en lumière de manière exhaustive par un choix redoutable d'œuvres concertantes, solo et de musique de chambre. C'était évidemment le cas en l'occurrence des œuvres imposées en demi-finales, la Sonate en ré mineur pour violon solo op. 27 n°3 d', le Caprice pour violon et piano de Victor Kissine, ainsi qu'un Concerto pour violon de  ; et en finales, le Concerto pour violon du compositeur japonais , œuvre primée par le Grand Prix du Concours International de Composition 2011.

Élève de , (Premier Prix – Grand Prix International Reine Elisabeth) a choisi le Concerto n°1 en la mineur op. 99 de son compatriote . On se souvient toujours de l'impact de cette œuvre lors des Concours Reine Elisabeth des années 60, surtout dans l'interprétation du Premier Prix Alexeï Michlin (1963), intense et dramatique, caractéristiques que l'on retrouve peu ici. Bien évidemment l'interprétation de Baranov est solide et parfaitement maîtrisée techniquement, cela va de soi, mais elle ne livre pas son potentiel émotionnel sous-jacent comme pouvaient le faire d'admirable façon un Michlin ou un Oïstrakh : affaire de conception sans doute, Baranov voulant probablement tempérer le côté tragique inhérent à l'œuvre, mais ce faisant il semble alors paradoxalement plus engagé émotionnellement dans son superbe Concerto n°3 en sol majeur KV 216 de Mozart en demi-finale.

Tatsuki Narita (Deuxième Prix – Prix du Gouvernement Fédéral Belge – Prix ) s'est penché sur le Concerto n°1 en ré majeur op. 6 de Paganini, et ce choix lui a valu les ovations finales de la salle debout. On peut penser tout ce que l'on veut de cette musique, mais jouée comme elle le fut par le violoniste japonais, avec une dignité, une expressivité, une légèreté non dénuées d'humour, elle procura une rare expérience à l'auditeur. Au sortir de sa prestation, le candidat avoua tout simplement en un français impeccable : « Je suis très content parce que j'ai pu faire ce que je voulais. Je suis très heureux. » Les compositeurs des imposés, Victor Kissine (Caprice) et (Concerto), ont choisi respectivement ces deux lauréats pour cette édition au disque, cela à juste titre (et sans chauvinisme !) car leur interprétation fut parmi les plus convaincantes.

Hyun Su Shin (Troisième Prix – Prix du Comte de Launoit) se révéla véritable coup de cœur. La prestation globale de cette admirable violoniste coréenne semble proposer la démarche inverse à celle de Baranov : partie d'une interprétation plutôt introvertie et contenue du Concerto n°4 en ré majeur KV 218 de Mozart en demi-finale, elle se livra progressivement en finale dans la Sonate n°3 en ré mineur op. 108 de Brahms pour se donner et s'épanouir totalement dans un magnifique Concerto en ré mineur op. 47 de Sibelius, aux nuances infinies, comme parfois suspendues dans le temps.

Élève d'Augustin Dumay, Esther Yoo (Quatrième Prix – Prix des Gouvernements Communautaires de Belgique) défend sa conception interprétative du Concerto en ré majeur op. 61 de Beethoven avec brio et panache, ce qui n'exclut pas la profondeur, tandis que le disque ne nous offre qu'une œuvre de musique de chambre par le Taïwanais Yu-Chien Tseng (Cinquième Prix – Prix de la Région de Bruxelles-Capitale), la Sonate en sol majeur de , interprétation d'une large palette sonore, étonnante de maturité pour un jeune homme de 17 ans, benjamin du concours. Enfin, le Biélorusse Artiom Shishkov (Sixième Prix – Prix de la Ville de Bruxelles), musicien d'une grande intégrité, nous offre ici l'émouvant Nigun (2e des 3 pièces de Baal Shem) d', et le Concerto n°5 en la majeur KV 219 de Mozart, œuvres provenant toutes deux de sa prestation de demi-finale.

Et à propos de concertos, quelle excellente idée d'avoir regroupé sur un seul CD les trois concertos de Mozart du concours (n°3, n°4, n°5) par trois des six premiers lauréats : c'est bien plus qu'un simple CD bonus ! L' est constitué d'excellents musiciens très attentifs aux solistes, mais la conception interprétative de tend à être léchée, maniérée, caractéristiques souvent typiques d'une interprétation soi-disant « à l'ancienne », « à l'authentique », qui peut agacer : Mozart ne demande pas cela. Quant à l', il est au-dessus de tout éloge, de même que son chef qui est d'un soutien inestimable pour ces grands interprètes de demain. Et finalement, félicitations aux divers pianistes du concours qui ont remarquablement œuvré en véritables partenaires de musique de chambre.

Il est passionnant de retrouver ici ces six premiers lauréats au disque, cela en dehors de l'effervescence et de toute distraction visuelle ou autre du concours, pour finalement être persuadé a posteriori que tous ces jeunes talents remarquables nous ont offert, sans exception, de véritables exécution de concert, et goûter leurs prestations est d'autant plus exaltant que la réalisation technique de cet album, que ce soit au niveau de la présentation ou de la qualité sonore, est tout à fait exceptionnelle. Par exemple les pauses entre les mouvements, souvent grevées de bruits incongrus de toutes sortes – craquements, toux, etc. – ont été réduites à une durée idéale et la plus silencieuse possible, grâce à un montage très attentif et pointu. Le producteur exécutif Olivier Vannieu et toute son équipe sont à féliciter chaleureusement pour le soin extrême de cette réalisation dont il faut par ailleurs souligner la rapidité de parution, dès le 2 juin, alors que la proclamation des résultats s'est déroulée dans la nuit du 26 au 27 mai…

La plaquette de cet album comporte un éditorial trilingue (néerlandais, français, anglais) de Michel-Étienne Van Neste, Secrétaire Général du Concours Reine Elisabeth, tandis que les autres notices sont uniquement en anglais, façon élégante mais radicale de régler provisoirement les problèmes linguistiques communautaires de la Belgique !…

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