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Decca champion du ballet

Decca s'est toujours révélé ardent défenseur de la musique de ballet, en s'entourant d'excellents chefs rompus à ce genre bien particulier : Ernest Ansermet, Richard Blareau, , Anatole Fistoulari, Robert Irving, et s'y sont particulièrement distingués, ayant été associés à diverses compagnies de ballet, à un moment ou l'autre de leur carrière. Ce sont les deux derniers cités qui nous concernent ici, en nous offrant des œuvres de styles plutôt variés.

Il y a peu, le célèbre label britannique avait publié un superbe coffret de 35 CDs (4781526) contenant un riche éventail de partitions chorégraphiques, le plus souvent dans leur version intégrale. Le prolifique y dirigeait l'Orchestre du Royal Opera House, Covent Garden dans La Source, collaboration de et , puis l' dans le Grand Pas de Paquita et le Pas de deux de l'acte IV de Don Quichotte du même Minkus. Or voici un double CD reprenant en réédition La Bayadère de (parfois prénommé à la française Léon), ballet sur un argument exotique mêlant réel et fantastique, avec le même chef et le même orchestre. Et la surprise est plutôt agréable ; bien évidemment, il n'est pas question de situer la musique de Minkus au même niveau que celle de Tchaïkovski ou de Delibes que l'auteur du Lac des Cygnes admirait d'ailleurs, mais curieusement, l'orchestration de tend à rapprocher la musique de La Bayadère tantôt de l'un, tantôt de l'autre de ces deux maîtres.
Les puristes trouveront certainement à redire, mais il faut souligner que l'arrangement de Lanchbery du ballet virtuellement intégral fut accompli en 1980 pour Natalia Makarova et l'American Ballet Theatre à partir de sources diverses hormis celle du manuscrit orchestral original du compositeur, qui ne fut redécouvert qu'en 2002 par le Théâtre Kirov qui en garde l'exclusivité. Il faut donc rendre hommage à Lanchbery d'avoir fait redécouvrir cette partition à une époque où les historiens de la musique la dénigraient à tort sans vraiment la connaître, car n'étant pas destinée au concert, mais simple et unique prétexte à la danse. S'il ne doit en aucun cas être renié, l'enregistrement vraiment somptueux de et de l' (qui en l'occurrence semble avoir l'effectif d'un orchestre symphonique) est donc le témoignage de circonstances particulières, qui dorénavant n'exclut aucunement le retour à la partition originale de .

Les deux autres réalisations Decca font partie de la série « Eloquence » d'Universal Australie, véritable aubaine pour le mélomane car maintenant facilement disponible chez nous, et comme par hasard elles font la part belle à l'Australien Richard Bonynge ! Mais surtout cela nous permet de retrouver la musique tendre, subtile et raffinée du ballet Les deux Pigeons (1886) d', d'autant que les enregistrements de cette délicieuse partition ne sont guère légion. Dans sa série « Ballet Edition », EMI Classics en a publié une version à l'orchestration « enrichie » par (encore lui !) à partir de la partition destinée par Messager aux représentations de Covent Garden en 1906. Une comparaison entre les deux interprétations semble révéler que Richard Bonynge exécute la version parisienne originale de 1886, non seulement par les quelques différences d'orchestration, mais également par de légères variantes du texte. Choisir entre ces deux exécutions de haut niveau sera une question de préférence personnelle : la version Lanchbery est plus énergique, plus nerveuse, brillante, sans doute plus adaptée à la danse. De son côté, Richard Bonynge a des qualités incomparables de poésie rêveuse, de tendresse qui émeuvent ; son interprétation est plus proche du concert : sans le support visuel du ballet, elle sait prendre son temps et nous semble plus profonde que celle de Lanchbery.

Il aurait été étonnant que la musique de Johann Strauss junior, si riche en valses, polkas, quadrilles et autres danses, ne fut pas utilisée par l'une ou l'autre compagnie chorégraphique. Ironiquement, les deux ballets les plus populaires de Strauss sont l'œuvre de deux chefs d'orchestre – arrangeurs : pour Graduation Ball (1940), et pour Le Beau Danube (1924). Le ballet Graduation Ball (Le Bal des Cadets) se déroule à Vienne en 1840, dans une école d'étudiantes qui organisent un bal auquel les cadets d'une Académie militaire voisine ont été invités ; pour ce Bal des Cadets, Doráti a essentiellement sélectionné, organisé et orchestré des manuscrits à l'époque inédits de la musique de Strauss, résidant dans la collection de l'Opéra d'État de Vienne. Graduation Ball a fait l'objet de multiples gravures aux diverses qualités, mais l'intérêt évident de celle-ci est d'avoir en personne au pupitre, qui plus est celui des Wiener Philharmoniker rompus à ce style de musique. Pour Le Beau Danube, qui met en danse une série d'intrigues et flirts superficiels dans un parc viennois, a utilisé non seulement de la musique peu familière de Strauss junior, mais aussi celle de son père Johann Strauss senior et de son frère Josef, le tout pour le célèbre chorégraphe Léonide Massine, qui a aussi chorégraphié la première production de La Gaîté Parisienne (1938) d'Offenbach dans l'arrangement d'un autre chef d'orchestre – arrangeur français, Manuel Rosenthal : une pratique apparemment typique de l'entre-deux-guerres. Le Beau Danube, reçoit ici une interprétation éblouissante de Richard Bonynge, et comme c'est le seul enregistrement qui soit repris dans le coffret Decca précité, on peut considérer l'ensemble de ces trois CDs comme le digne complément de ce coffret.

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