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Déceptions post-modernes à la Cité de la Musique

La Cité de la Musique, où l'on n'est apparemment jamais en mal d'inspiration, propose dans ses murs, pour les premiers jours de décembre, un « cycle B.A.C.H. ». Il s'agit d'une série de six concerts pensés autour des quatre lettres, qui lorsqu'on les réunit, forment aussi bien le nom d'un compositeur qu'une cellule musicale de quatre notes lues en notation allemande (si bémol, la, do et si bécarre). La facétie a germé dans l'esprit de Bach lui-même, mais elle a fait fortune auprès de divers compositeurs, qui en ont apprécié la saveur chromatique, la portée allusive, et n'ont pas hésité à la citer dans leurs propres œuvres. Elle fournit en tout cas un prétexte plaisant à des propositions musicales qui, sur la scène parisienne, changent de l'ordinaire, et auxquelles une salle comble a fait honneur.

Même si un tel succès a de quoi réjouir, il faut encore espérer que la réussite mitigée de la soirée ne détournera pas le public de ce genre de répertoire. , certes, ne manque pas de talent, et il a reçu des applaudissements qui lui revenaient à bon droit. La Suite pour violoncelle seul qui ouvre le concert est une entrée en matière originale, surtout jouée d'une manière aussi délicate. Les phrases du prélude, monodiques, à peine effleurées par le violoncelliste, flottent, suspendues et indécises. Puis le rythme, en s'affirmant progressivement au fil de la Suite, donne forme à la matière sonore, jusqu'à la Gigue finale, dont la mesure à trois temps est irrésistiblement entraînante.

Le violoncelliste cède ensuite sa place aux cordes de l', accompagnées d'un pianiste, d'un claveciniste, d'un percussionniste, ainsi que des deux sœurs Nemtanu, qui tiennent les deux parties de violon solo du troisième Concert grosso de Schnittke. Cette formation, curieuse en elle-même, interprète une partition totalement ébouriffante, une musique loufoque aux accents tour à tour furieux et fantomatiques, burlesques et glaçants (par exemple lorsque le motif B.A.C.H. est scandé par les cloches tubulaires). La direction peu soignée, et trop en retrait, de est compensée par le dynamisme des deux solistes, dont le jeu vigoureux entraîne et galvanise le reste de l'orchestre.

Le Collage sur B.A.C.H., quant à lui, ne figure certainement pas au rang des œuvres les plus réussies d'. Il est difficile de savoir si le caractère anecdotique de la pièce provient avant tout de sa brièveté ou d'un usage trop sommaire et littéral de citations de Bach ; mieux vaut de toute façon lui attribuer l'indifférence ressentie, pour le bien de l'orchestre.

Le concert aurait dû culminer avec le retour de dans le premier Concerto de Chostakovitch, œuvre enlevée, expressive à souhait, très séduisante ; mais l'orchestre accuse cette fois nettement l'insuffisance qu'on pressentait déjà dans la pièce de Schnittke. Le cor, qui tient presque un rôle de soliste face au violoncelle, aligne ses soli sans âme ni mystère. La clarinette et le piccolo ne sont guère plus inspirés, et les problèmes de cohésion des cordes sont au premier plan. Seule la longue cadence pour le violoncelle, que joue magistralement, donne sa poésie à cette partie du concert : dans cette page comme dans les Suites de Bach (dont elle s'inspire ostensiblement), le néant se métamorphose graduellement en musique, avant que l'auditeur ne se trouve précipité dans les abîmes de virtuosité du finale.

Crédit photographique : Jean-Guihen Queyras © Alvaro Yanez

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